Pourquoi la reformulation et l’empathie sont-elles des leviers majeurs ?

Au cœur du soin et de l’accompagnement en santé mentale, la qualité de la relation fait toute la différence. Si 70% de l’efficacité d’une intervention thérapeutique dépendrait de la relation entre la personne et le professionnel (Association for Psychological Science, 2019), c’est bien parce que sentir qu’on est entendu, compris et respecté est un moteur du rétablissement.

Mais comment, concrètement, être présent à l’autre ? Comment écouter sans juger, accueillir les émotions sans s’effacer soi-même, et éviter les malentendus ou les réponses automatiques ? Cela passe par deux familles de compétences : la reformulation, qui vise à clarifier et valider ce que l’autre exprime, et l’empathie, cette capacité à ressentir et comprendre le vécu de l’autre tout en gardant sa position.

La reformulation : clarifier, valider, avancer ensemble

La reformulation est l’une des techniques de communication les plus puissantes, et paradoxalement, l’une des moins spontanées. Elle consiste à redire, avec ses propres mots ou en reprenant partiellement ceux de l’autre, ce que la personne vient d’exprimer.

Une étude de l’Institut National de Prévention et d’Éducation pour la Santé (INPES, 2017) a montré que la reformulation correcte augmente de près de 40% la satisfaction lors d’une consultation, tout en réduisant significativement les malentendus à l’origine d’incompréhensions ou de ruptures de suivi.

Les quatre types de reformulation à maîtriser

  • Reformulation simple : Redire les propos pour vérifier la bonne compréhension. Exemple : « Si je comprends bien, tu dis que cette situation t’inquiète ? »
  • Reformulation miroir : Reproduire fidèlement les mots clés de l’autre pour montrer qu’on écoute activement. Exemple : « Tu te sens “épuisé”, c’est ça ? »
  • Reformulation synthèse : Faire une synthèse partielle ou complète de ce qui vient d’être partagé. Exemple : « En résumé, tu es fatigué par le travail, mais tu aimerais trouver des solutions pour aller mieux. »
  • Reformulation interprétative : Proposer une hypothèse ou une interprétation, en émettant un doute. Exemple : « J’ai l’impression que tu ressens surtout de la colère, est-ce que je me trompe ? »

Chacune de ces techniques peut être adaptée selon le contexte et la relation. Elles permettent de refléter l’état d’esprit de la personne et d’ouvrir ou de préciser la discussion, tout en la sécurisant.

Des maladresses fréquentes et comment les éviter

  • Répéter mot pour mot, sans montrer sa propre compréhension, risque de paraître mécanique. Oser personnaliser la reformulation.
  • Interpréter trop vite sans demander validation : toujours proposer son hypothèse comme une question ouverte.
  • Minimiser ou dramatiser avec ses propres mots : mieux vaut rester neutre et proche du vécu de la personne.

L’empathie : un savoir-être indispensable, une compétence à cultiver

Une enquête de la Fédération Française de Psychiatrie (2022) rappelle que 78% des personnes concernées considèrent l’empathie comme le facteur numéro un du respect et de la confiance dans la relation de soin. À l’inverse, le manque d’empathie est perçu comme évitant, voire toxique.

Contrairement à la croyance répandue, l’empathie n’est pas innée. C’est un apprentissage, mobilisant l’écoute, la capacité de se représenter les situations vécues par l’autre, tout en conservant une posture professionnelle ou de pair (là où l’on peut partager sans envahir l’espace de l’autre).

Quatre gestes quotidiens pour renforcer l’empathie

  1. L’écoute active : Porter attention sans interrompre, ni préparer sa prochaine réponse. Il s’agit d’accueillir silences, hésitations et émotions, sans chercher à les combler immédiatement.
  2. La reconnaissance des émotions : Nommer ce qui se manifeste — tristesse, fatigue, découragement — sans juger ni trivialiser.
  3. La validation de l’expérience : Affirmer que le ressenti de l’autre est légitime, qu’on le comprenne ou non. « C’est compréhensible que tu ressentes cela après ce que tu as vécu. »
  4. Le partage mesuré : Pour les pairs, oser partager, à petite dose, une expérience similaire (« J’ai aussi ressenti cela, et j’ai trouvé ça difficile »), pour créer une alliance.

Des astuces et outils concrets pour tous les contextes

  • Adopter le positionnement « Canevas des 3C » proposé par l’OMS (source) :
    • Connecter : Chercher une connexion humaine authentique, au-delà des rôles.
    • Comprendre : Déployer de l’intérêt honnête et curieux pour l’expérience de l’autre.
    • Collaborer : Proposer, autant que possible, des pistes de réflexion ou d’action à co-construire.
  • Pratiquer la présence consciente : S’exercer à poser une attention pleine et sincère à chaque rencontre, bref, bannir l’automatisme.
  • Utiliser des questions ouvertes : « Qu’est-ce qui t’a le plus marqué dans cette situation ? » plutôt que « Est-ce que ça va ? »

Techniques spécifiques à la santé mentale : adapter sans infantiliser

Dans l’accompagnement des troubles psychiques, l’usage répété de la reformulation et de l’empathie permet de désamorcer de nombreux risques : sentiment de non-considération, isolement, auto-stigmatisation, ou perte de confiance dans le soin. Selon le rapport annuel de Santé Publique France (2023), 61% des personnes souffrant d'un trouble psychique mentionnent avoir vécu au moins une fois un sentiment d’incompréhension de la part d’un soignant ou d’un proche.

Adapter son langage et ses outils

  • Simplifier sans infantiliser : Privilégier les phrases courtes, un vocabulaire explicite, en évitant les formules qui réduisent l’expérience de l’autre (« Ça va aller, ne t’en fais pas »).
  • Être attentif à la temporalité : Certains moments, comme la sortie de crise, nécessitent plus d’empathie et moins d’interprétations ou de conseils.
  • Suspendre le jugement : Face à des propos confus, désorganisés, ou difficiles à entendre, revenir toujours à la validation et à la clarté, avant toute analyse ou solution.
  • Favoriser l’auto-expression : Encourager la personne à utiliser ses propres mots, ses images, parfois même en acceptant ses silences.

Professionnels, pairs, proches : développer une posture réflexive

Pour les professionnels et les pairs, la maitrise des outils de reformulation et d’empathie est aussi une question de juste distance et de réflexivité sur ses propres émotions. Prendre le temps de s’interroger sur sa posture (« Suis-je dans la compréhension, le conseil, l’interprétation, ou le jugement ? ») évite bien des écueils.

Des formations dédiées existent. En France, la pratique de l’Education Thérapeutique du Patient (HAS), ou les groupes d’analyse de pratiques, sont cités par plus de 60% des professionnels comme des leviers majeurs d’amélioration continue.

Signaux à surveiller pour ajuster ses pratiques

  • Surcharge émotionnelle : Sentiment d’épuisement, d'agacement ou de découragement dans la relation. Indicateur qu’il est temps de prendre du recul ou d’échanger sur sa pratique.
  • Tensions relationnelles répétées : Multiplication des incompréhensions ou des conflits. Signe qu’il serait utile d’analyser la dynamique de la relation.
  • Sensation d’automatisme : Perte de la présence à l’autre, routine installée. Nécessité de se recentrer sur l’objectif de la relation.

Ressources et guides pour aller plus loin

  • L’écoute et l’accompagnement, modes d’emploi : Guide téléchargeable de l’Unafam, très concret sur l’écoute et le positionnement face à la souffrance psychique (UNAFAM).
  • Formation à l’empathie en santé mentale : MOOC « Écouter, reconnaître, accompagner » (Université de Strasbourg, 2022).
  • Quizz interactifs : Pour s’auto-évaluer sur ses compétences relationnelles : Association Elus Santé Mentale (Elus Santé Mentale).

Pour renforcer ensemble le lien, miser sur l’auto-évaluation et le partage

Qu’on soit professionnel, pair-aidant, proche ou concerné, capitaliser sur la reformulation et l’empathie, ce n’est pas une question de technique isolée, c’est une vision engagée du soin et de la coopération. Chaque rencontre, chaque échange est une opportunité pour progresser et nourrir une relation plus égalitaire.

Les chiffres de satisfaction, l’expérience des personnes concernées, mais aussi les avancées sur la reconnaissance des savoirs expérientiels, invitent à investir dans ces outils concrets. S’exercer ensemble, partager nos pratiques et réflexions, c’est aussi affirmer que la voix et l’écoute de chacun comptent — et que, même face à la complexité, il existe des leviers simples pour avancer ensemble.

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