Définir la pair-aidance : contexte et enjeux

La pair-aidance naît d’un mouvement international, particulièrement développé aux États-Unis, au Canada et au Royaume-Uni, qui a essaimé en France à partir des années 2000 (source : Rapport IGAS 2017). Elle s’appuie sur un postulat : l’expérience vécue des troubles psychiques et du rétablissement est une expertise à part entière, complémentaire de celle des professionnels, et utile pour accompagner les autres sur leur propre chemin.

  • En 2023, on estime qu’environ 600 pair-aidants étaient formés ou en cours de formation en France, contre 90 en 2015 (source : Réseau Santé Mentale France).
  • Les premières fonctions recensées vont du soutien individuel à la participation à des dispositifs collectifs, voire à l’enseignement auprès des professionnels de santé (source : CCOMS Lille, 2020).

Mais la pair-aidance ne se résume pas à l’idée de « s’entraider entre personnes concernées ». Sa reconnaissance suppose des repères éthiques clairs, pour éviter à la fois les dérives, la confusion des rôles et le découragement des acteurs.

Les piliers éthiques de la pair-aidance

1. Le respect inconditionnel de la personne

Au cœur de toute action de pair-aidance, il y a une conviction : chaque personne possède une dignité et un chemin singulier, quelles que soient la gravité ou la chronicité des troubles vécus. Ce respect inconditionnel suppose de ne jamais réduire autrui à un diagnostic, un statut ou un passé.

La Fédération Française des Associations de Psychiatrie rappelle que « la reconnaissance de la singularité de chaque parcours doit être première, même au sein de l’expérience partagée ». Cette exigence s’oppose frontalement aux pratiques paternalistes ou compassionnelles classiques : c’est un respect de pair à pair, sans hiérarchie de valeur entre les récits.

2. Réciprocité et non-directivité

Au cœur de la pair-aidance authentique : sortir de la logique de conseil ou de prescription. Le pair-aidant ne sait pas “mieux” parce qu’il est passé par là. Il écoute, partage, accompagne — jamais ne dirige ni « sauve ». Cette posture, inspirée du courant du rétablissement (“recovery”), affirme la capacité de chacun à être acteur de ses choix.

  • Réciprocité : les expériences circulent dans les deux sens. Même dans l’écoute, le pair-aidant reconnaît qu’il peut apprendre de l’autre. Cela développe la confiance et la co-construction du savoir.
  • Non-directivité : inspirée par Carl Rogers et les principes de l’alliance thérapeutique, cette notion guide la relation hors de toute volonté d’influence. On ne propose pas des solutions toutes faites. On ouvre un espace d'expression et de réflexion.

En France, le Réseau Santé Mentale propose d’ailleurs des formations axées sur le “pouvoir d’agir”, visant à éviter les rapports d’emprise ou de dépendance (source : réseau Santé Mentale Auvergne-Rhône-Alpes).

3. Confidentialité et confiance

La question du secret est centrale pour la crédibilité de la pair-aidance. Même sans statut réglementé comme ceux des professionnels de santé, la confidentialité s’impose comme une exigence éthique. Les Chartes de Pair-aidance, dont celle du Centre Collaborateur de l’OMS de Lille (CCOMS), stipulent clairement :

  • Tout échange personnel doit rester strictement confidentiel, dans la limite de la loi (notamment en cas de danger imminent).
  • La confiance, base du lien pair-aidant/pair-aidé, est construite sur la promesse que la parole sera entendue sans jugement ni divulgation.

Cela distingue la pair-aidance des simples forums ou groupes Facebook où la confidentialité n’est jamais garantie.

4. L’empowerment : soutien à l’autonomie et au pouvoir d’agir

L’un des apports décisifs de la pair-aidance réside dans la promotion de l’empowerment, traduit en français par “pouvoir d’agir”. Il ne s’agit pas de remplacer l’unité de soins, mais d’inscrire la personne au cœur de son projet de vie. Les études réalisées par l’INSERM et Santé mentale France soulignent que l’implication de pair-aidants augmente significativement l’autonomie perçue chez les aidés (+18 % sur un an dans certains dispositifs en Ile-de-France, source : Santé Mentale France 2022).

  • Le pair-aidant ne donne pas des instructions : il encourage à faire émerger les propres ressources et leviers d’action de la personne.
  • Il partage des stratégies, sans imposer un parcours unique ni prétendre à l’exemplarité.

C’est cette philosophie qui transforme le rapport de soin en une dynamique d’alliance et de soutien mutuel.

5. Limites, responsabilités et gestion des situations à risque

L’action du pair-aidant s’effectue dans un cadre défini : il n’est pas thérapeute, psychologue, ni médiateur familial. La formation insiste sur la nécessité de connaître ses propres limites et de savoir où orienter en cas de besoin (source : Guide pratique Pair-aidance Réh@b, 2021).

  • Reconnaître la limite de son rôle : transmettre un soutien d’égal à égal, sans s’improviser professionnel.
  • Transférer au besoin : signaler toute situation de danger, briser le secret si la sécurité de la personne est en jeu.
  • Repérer l'épuisement compassionnel  : toute implication excessive peut entraîner le burn-out du pair-aidant, d’où l’obligation d’intervision ou de supervision.

Un rapport du Centre Hospitalier de Saint-Cyr-au-Mont-d’Or (2022) souligne que, dans 80 % des structures où les pair-aidants sont suivis en supervision, ceux-ci signalent une meilleure gestion des situations émotionnellement difficiles.

Éthique appliquée : exemples & enjeux actuels

Cas concrets et bonnes pratiques

  • Groupes d’entraide autogérés : les régulations se font entre pairs, la charte est lue à chaque nouvelle session.
  • Médiation dans les établissements : le pair-aidant intervient dans l’équipe sans se substituer au soignant, ni se poser en expert.
  • Accompagnement individuel : l’objectif reste toujours de ramener la personne vers ses propres ressources et de favoriser son inclusion sociale.

Le respect du cadre, la clarté sur les motivations du pair-aidant, la capacité à reconnaître les impasses — autant d’exigences éthiques qui font la différence entre un soutien “instinctif” et une vrai démarche pair-aidante.

Défis éthiques contemporains

Avec l’essor de la pair-aidance en France, de nouvelles tensions apparaissent :

  • Risque d’institutionnalisation  : lorsque la pair-aidance devient “un nouveau métier”, comment éviter la perte de spontanéité et la dilution du message original ?
  • Inégalités d'accès : En 2021, seules 13% des structures de soins en France reconnaissaient officiellement des pair-aidants dans leur équipe (Source : CCOMS), ce qui laisse de nombreux usagers sans accès à ce soutien.
  • Respect du pluralisme des expériences : comment garantir que l’approche reste inclusive et représentative de toutes les voix, notamment celles issues de minorités ou de parcours migratoires ?

La commission nationale d’éthique de la pair-aidance, en création depuis 2023, vise d’ailleurs à soutenir la réflexion et l’auto-régulation du secteur (source : UNAFAM).

Perspectives : éthique, formation et co-construction

Les fondements éthiques de la pair-aidance constituent un atout majeur mais aussi un travail permanent. Ils exigent non seulement une vigilance individuelle (de la part des pair-aidants eux-mêmes), mais aussi une mobilisation collective (associations, établissements de santé, pouvoirs publics).

A l’avenir, trois pistes semblent prioritaires pour consolider ce socle éthique :

  1. Développer et harmoniser les chartes déontologiques : une charte nationale ou régionale, élaborée avec les associations d’usagers, garantirait un socle partagé.
  2. Professionnaliser sans dénaturer : penser la reconnaissance salariale et statutaire des pair-aidants tout en préservant la dynamique d’entraide et la place de l’expérience.
  3. Former largement : une formation initiale et continue sur l’éthique, ouverte aussi aux équipes et aux familles, favoriserait la compréhension et le respect de ces principes.

Face à la crise de sens souvent ressentie dans le parcours de soins, la pair-aidance — en affirmant ses repères éthiques — reste une chance : pour une relation plus humaine, responsabilisante et juste, centrée sur la personne, le vécu, et la solidarité.