Comprendre la pair-aidance : une origine et une posture singulières

La pair-aidance s’est développée en France dans un contexte de transformation des pratiques en santé mentale, inspirée par les mouvements de défense des droits des patients anglo-saxons. Dès les années 1970 aux États-Unis, puis en Australie, au Canada et plus récemment en France (notamment dès 2011 avec le Groupement national des centres de réhabilitation psychosociale), la pair-aidance a pris forme sur un principe : l’accompagnement par des personnes ayant elles-mêmes traversé les troubles psychiques, et formées à soutenir d’autres personnes sur leur chemin de rétablissement (Guide ARS Île-de-France).

L’entrée dans la pair-aidance est indissociable du vécu personnel et d’un engagement à transformer cette expérience : il s’agit à la fois d’un savoir expérientiel (avoir vécu le trouble, les soins, le rétablissement, parfois la rechute), et d’une posture d’entraide horizontale, c’est-à-dire entre pairs.

Accompagnement professionnel traditionnel : cadre, formation, statut

L’accompagnement professionnel en santé mentale recouvre une large palette de métiers : psychiatres, psychologues, infirmiers, éducateurs spécialisés, assistants sociaux, etc. Tous partagent une formation initiale réglementée, sanctionnée par un diplôme d’État ou universitaire, et une pratique encadrée par un code déontologique ou par la hiérarchie institutionnelle.

Par nature, l’accompagnement professionnel classique s’ancre dans une relation dite « asymétrique » : l’aidant professionnel se situe du côté du « savoir », tandis que la personne accompagnée est supposée demander, recevoir, voire se soumettre au cadre proposé.

En quoi la pair-aidance transforme-t-elle la relation d’accompagnement ?

La nature du « savoir » mobilisé

  • Pair-aidant : mobilise un « savoir expérientiel » : vécu intime de la souffrance, confrontation aux obstacles (stigmatisation, isolement, rechute), ressources mises en œuvre dans le parcours de soins, stratégies concrètes de gestion.
  • Professionnel : transmet un savoir « académique » et une expertise clinique : symptômes, diagnostics, traitements, parcours de soin standardisés, normes et protocoles.

Dans la pair-aidance, la valeur du témoignage et du partage d’expérience prime, sans se substituer au savoir technique.

Le rapport à la norme et à l’expertise

  • Le pair-aidant se situe hors de la posture du « détenteur du vrai diagnostic » : il offre une parole non normative, qui autorise l’incertitude, l’erreur, l’expérimentation personnelle.
  • L’accompagnement professionnel reste marqué par la référence à la norme (développementale, comportementale, médicale), à la prescription et au suivi objectif.

Cela permet parfois à la personne accompagnée de lever la crainte d’être « évaluée » ou « jugée », particulièrement chez les publics les plus réticents à l’institution.

La question de la réciprocité

  • Dans la pair-aidance, il existe une possibilité de mutualité : le pair-aidant peut partager (avec tact) ses propres vulnérabilités, tout en conservant sa fonction de soutien.
  • L’éthique professionnelle classique privilégie la « neutralité bienveillante », mais conserve une asymétrie : la parole personnelle du professionnel est secondaire, voire absente.

Des impacts concrets, mesurés et différenciés

Les recherches récentes mettent en avant des bénéfices spécifiques de la pair-aidance, confirmés dans divers pays. D’après une synthèse de l’Inserm de 2022, l’intégration de pairs dans les équipes contribue à :

  • Améliorer le sentiment d’espoir et la projection positive vers l’avenir (Inserm, 2022)
  • Accroître la motivation à s’inscrire dans le parcours de soin : les usagers disent comprendre que « ça vaut la peine d’essayer », car le pair incarne la preuve du possible.
  • Favoriser la réduction de l’autostigmatisation : dans certains groupes, jusqu’à 45 % des personnes rapportent une diminution des préjugés envers elles-mêmes (source : étude CHU de Lille 2019).
  • Renforcer le sentiment de légitimité : les témoignages de pairs permettent aux usagers de verbaliser leur expérience unique, sans crainte de n’être « pas comme il faut ».

À l’inverse, l’accompagnement professionnel apporte :

  • La sécurité du cadre thérapeutique et la gestion des situations de crise (prescription, évaluation du risque, accès au réseau institutionnel…)
  • L’accès à des outils validés par la recherche : entretiens motivationnels, psychothérapies, protocoles.
  • La continuité du suivi dans le temps, particulièrement en situation d’urgence ou de rupture sociale.

Des complémentarités à cultiver, pas une opposition

Il est tentant, parfois, d’opposer pair-aidance et accompagnement professionnel. Pour autant, aucune étude ne conclut à la supériorité universelle de l’un ou l’autre. C’est souvent la combinaison des deux approches qui génère le meilleur impact.

  • La pair-aidance ouvre des espaces d’authenticité : notamment sur les questions de rechute, de non-observance des traitements, ou de réticence à l’hospitalisation, sujets parfois difficiles à aborder avec un professionnel.
  • L’accompagnement professionnel protège et sécurise : par l’expertise médicale, l‘accompagnement social et la pérennité des dispositifs.

Dans l’enquête menée en 2021 par Santé Mentale France, 67 % des établissements ayant intégré des pairs-aidants ont observé une amélioration du climat d’équipe, avec une diminution des situations de blocage ou de conflit entre soignants et usagers (Santé Mentale France).

Quelques points d’attention dans la pratique

  • Soutien aux pairs-aidants : l’exercice de la pair-aidance expose à un risque spécifique d’épuisement ou de surcharge émotionnelle. Des dispositifs de supervision et de formation sont indispensables (cf. rapport HAS 2023).
  • Clarification des rôles : certains usagers peinent à distinguer le rôle du pair-aidant de celui de l’équipe classique. Afficher les complémentarités et les limites réciproques, c’est garantir la confiance.
  • Reconnaissance institutionnelle : la France accuse un retard (à l’échelle de l’OCDE) sur l’intégration statutaire et salariale des pairs-aidants (OCDE, 2023). Moins d’un établissement sur deux dispose d’un cadre précis au recrutement.

Redéfinir l’accompagnement en santé mentale à travers la pair-aidance

Aujourd’hui, la démarche de pair-aidance s’installe comme un pilier de la transformation des pratiques, invitant à repenser la hiérarchie des savoirs et des rôles. Pour les patients-acteurs, elle offre un espace d’expression, d’espoir et d’empowerment. Pour les professionnels, elle est une chance de revisiter leur posture et d’accueillir dans les équipes une expertise jusque-là sous-valorisée. Enfin, pour les proches, elle rassure : voir que le rétablissement n’est pas un idéal loin de toute réalité.

Que l’on soit usager, professionnel ou parent, il est essentiel de reconnaître la force de l’articulation : si la pair-aidance n’a pas vocation à « remplacer » l’accompagnement professionnel, elle en est un levier puissant, porteur d’innovation et d’humanité pour le secteur de la santé mentale.

Pour aller plus loin : consultez le guide « Pair-aidance, patients experts et santé mentale » (ARS Île-de-France, 2020) et la mise à jour HAS 2023 sur les recommandations de bonnes pratiques.