Un outil de santé mentale fondé sur la collaboration

Le plan de crise conjoint suscite un intérêt croissant dans le champ de la santé mentale. Né d’une volonté d’humaniser l’accompagnement en favorisant l’autodétermination, il se positionne comme une ressource phare. Mais de quoi s'agit-il exactement ? En quoi diffère-t-il d’autres dispositifs préexistants ? Comment s’assurer qu’il ne reste pas lettre morte ? Voici un état des lieux actuel et des repères pour le mettre en place au plus près des besoins de chaque personne.

Définition et origines : qu’est-ce qu’un plan de crise conjoint ?

Un plan de crise conjoint – parfois nommé Plan de Crise Avancé ou Plan d'Action en situation de Crise (WRAP Crisis Plan, Joint Crisis Plan en anglais) – est un document écrit, rédigé avec la personne concernée par des troubles psychiques, en collaboration avec les professionnels et, si elle le souhaite, ses proches. Il formalise les souhaits, préférences et consignes que la personne exprime pour être aidée en cas de situation de crise. Fondé sur le respect des choix et la valorisation du vécu, il est à la fois un outil de prévention, de dialogue et de protection contre des interventions ressenties comme inadaptées ou traumatisantes (HAS).

  • Il est co-construit : le plan de crise n’est jamais imposé ni rédigé pour la personne, mais avec elle.
  • Il sert de référence pour toute l’équipe et pour les proches.
  • Il est révisé et ajusté selon les évolutions du parcours de vie.

Le plan de crise conjoint s’inscrit dans l’esprit du rétablissement en santé mentale et répond à une double exigence : la sécurité et le respect de l’autonomie. Selon la Haute Autorité de Santé, il est reconnu comme "outil d'empowerment". Il s'inspire de pratiques mises en œuvre notamment au Royaume-Uni depuis les années 2000, où leur usage a permis de réduire de 25 % la nécessité de soins sous contrainte et de diminuer le recours aux hospitalisations non volontaires (PMC, UK study 2004).

Pourquoi mettre en place un plan de crise ?

L’utilité du plan de crise conjoint repose sur plusieurs constats :

  • Anticiper la crise : Cela permet de ne pas attendre d'être submergé ; chacun peut savoir qui joindre, comment agir, et ce qui est le plus aidant.
  • Renforcer l’autonomie : La personne concernée fixe elle-même ses repères, clarifie ses besoins et ses préférences, ce qui rend l’intervention plus adaptée.
  • Limiter le recours aux mesures d’exception : Des études internationales montrent que la mise en place de plans partagés réduit la judiciarisation des soins et apaise la relation soignant-soigné (cf. Wiley Online Library).
  • Favoriser la co-construction de solutions : Impliquer à la fois la personne, ses proches, les soignants, et parfois un pair-aidant, enrichit la réflexion et la palette d’outils mobilisables.

Le rapport Clery-Melin de 2020 note que moins de 10 % des personnes suivies en psychiatrie disposent actuellement d’un plan de crise avancé. Pourtant, 83 % des usagers interrogés souhaitent disposer d’un tel document (source ministère). Prendre le temps de le construire, c’est donc répondre à un véritable besoin.

Quels contenus pour un plan de crise conjoint ?

Si chaque plan de crise est unique, certains éléments essentiels reviennent fréquemment :

  • Identification des signes précoces : Comment reconnaître qu’une crise se prépare ? Quels sont les signaux faibles ou les symptômes prédictifs pour la personne ?
  • Stratégies d’auto-gestion : Qu’est-ce que la personne peut mettre en place seule, et qu’est-ce qui lui est bénéfique à ce stade ?
  • Coordonnées des personnes ressources : Qui contacter, dans quel ordre ? (famille, amis, pair-aidant, équipe soignante…)
  • Soins et environnement préférés : Qu’est-ce qui rassure, sécurise, calme ? (présence d’un animal, objets, musique, limitation des entrées et sorties…)
  • Interventions à éviter absolument : Les pratiques ou gestes vécus comme intrusifs, violents ou déstabilisants.
  • Décisions anticipées sur les traitements : Volonté ou refus de certains médicaments, de l’hospitalisation, indication d’un établissement, etc.
  • Mise à jour régulière : Date, signataires, modalités de modification du plan – un plan de crise efficace doit rester évolutif.

Les modèles issus du Programme WRAP (Wellness Recovery Action Plan) ou du CRP (Crisis Response Plan) sont accessibles gratuitement et servent de trame à de nombreux établissements. Des exemples adaptables sont disponibles sur le site de la Santé publique France ou la Fondation Pierre Deniker.

Les grandes étapes de construction du plan de crise conjoint

La construction d’un plan de crise est un cheminement, et non un acte ponctuel. Voici les phases couramment repérées dans les retours d’expérience de services de santé mentale en Auvergne Rhône-Alpes et ailleurs.

  1. Informer et démystifier Prendre le temps de présenter la démarche : ce n’est ni un “contrat” ni une procédure obligatoire, mais un outil mis à disposition. Valoriser l’expérience de la personne (présence d’un pair-aidant apprécié ici). Exemple d'anecdote : Dans un centre lyonnais, la diffusion d’un court-métrage de témoignages de pairs a multiplié par 3 le nombre de personnes volontaires (2023).
  2. Préparer la discussion Identifier le bon moment pour aborder le sujet, ni trop tôt (en phase de crise aiguë), ni trop tard. Favoriser un climat bienveillant et assurer que chaque voix soit entendue (y compris celle de la personne concernée).
  3. Co-rédiger le document Proposer un temps dédié pour formaliser à l’écrit ce qui a été dit. Parfois, cela se fait en plusieurs séances, avec un proche ou un médiateur facilitateur (par exemple, un pair-aidant formé). Les outils créatifs – dessins, schémas, supports numériques – peuvent aider. Une enquête menée à l’hôpital du Vinatier en 2022 rapporte que 68 % des patients ayant participé à l’élaboration de leur plan de crise se sont sentis “mieux compris” par l’équipe.
  4. Diffuser et sécuriser le plan Déterminer qui aura accès au plan, sous quelle forme (papier, numérique sécurisé) : la personne concernée est actrice principale de cette décision.
  5. Actualiser et relire Revenir dessus à intervalle régulier, et surtout après chaque situation de crise ou événement marquant. Un plan vivant, non figé. Dans certains dispositifs, l’actualisation se fait tous les 6 à 12 mois en accord avec la personne.

Facteurs de réussite : points de vigilance et leviers

Plusieurs recherches soulignent les conditions nécessaires à la réussite d’un plan de crise conjoint (INSERM, 2023) :

  • Volontariat : Le plan n’a de valeur que si la personne y consent pleinement ; la pression institutionnelle est à éviter.
  • Qualité de la relation : L’écoute active et le respect des émotions sont fondamentaux.
  • Clarté du document : Rédaction simple, phrases courtes, sans jargon technique.
  • Reconnaissance du rôle des proches et pairs : La co-construction n’a de sens que si chaque partie prenante est reconnue et impliquée selon son choix.
  • Accessibilité : Formats adaptés pour les personnes en situation de handicap (facile à lire et à comprendre, pictogrammes).

Un des défis majeurs constatés : la peur que le plan ne soit pas respecté en cas d’urgence, ou que certaines décisions anticipées soient “bypassées”. L’ENGAGEment des institutions et la sensibilisation régulière des équipes sont indispensables.

Le plan de crise conjoint, atout pour l’Auvergne Rhône-Alpes ?

La région Auvergne Rhône-Alpes, comme le reste du territoire, présente une diversité d’initiatives autour des plans de crise avancés (réseaux de pair-aidants, équipes mobiles d’intervention, dispositifs de soutien aux familles). En 2023, selon l’ARS locale, seulement 13 % des patients en suivi spécialisé ont un plan de crise rédigé, mais ce taux est en croissance constante grâce à la formation et à la mobilisation des associations d’usagers.

Nombre de retours de terrain montrent un impact positif sur la prévention des rechutes et la restauration du lien de confiance entre patients et équipes. Citons par exemple l’expérimentation menée par la Fondation FALRET, où le taux de réadmission non programmée a diminué de 17 % dans les six mois suivant la mise en œuvre d’un plan de crise actif (données de 2022).

La diffusion de la pratique dépendra de la capacité à “faire équipe autrement” et à soutenir la formation des professionnels et personnes concernées.

Perspectives : vers un changement de culture en santé mentale

Le plan de crise conjoint invite à repenser les postures professionnelles, à mettre le savoir expérientiel au cœur de l’accompagnement, et à construire des réponses réellement co-habitée. L’accessibilité, la confiance et la formation restent les clés pour changer l’échelle de cet outil et garantir qu’il ne soit pas un simple document administratif, mais un véritable levier de mieux-être et de liberté.

Pour aller plus loin :

Construire ensemble un plan de crise, c’est ouvrir la voie à une approche profondément respectueuse, où la personne, l’entourage et les soignants partagent des repères communs pour traverser la tempête sans se perdre de vue.

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