Pourquoi s’intéresser à l’Allier et au Cantal ?

Les départements de l’Allier et du Cantal incarnent les particularités des territoires ruraux en matière de santé mentale. Éloignement des structures hospitalières, faible densité médicale, mobilité complexe : les défis y sont majeurs. Pourtant, ces contraintes deviennent parfois le terreau d’innovations sociales qui replacent la coopération et la pair-aidance au centre des parcours de soin et de vie.

En 2021, la DREES (Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques) rappelait que le taux de psychiatres pour 100 000 habitants s’élevait à 6,1 dans le Cantal et 8,2 dans l’Allier, contre 15,6 en moyenne nationale (source : DREES, Atlas régional 2022). Cette rareté pousse les acteurs locaux à inventer de nouvelles formes d’entraide et d’accompagnement.

Les dispositifs de pair-aidance, plus qu’un accompagnement : une dynamique nouvelle

La pair-aidance, c’est l’art du soutien de « pairs », personnes ayant un vécu de la santé mentale, auprès d’autres personnes concernées. Depuis 2017, plusieurs associations et établissements du territoire ont ouvert la porte à ce rôle en partageant la conviction que le savoir expérientiel a sa place dans le soin.

  • Maison des usagers du centre hospitalier (CH) de Vichy : L’accompagnement par les pairs est valorisé dans le projet d’établissement. Un chantier de recrutement de pair-aidants auprès de l’Union nationale des amis et familles de personnes malades et/ou handicapées psychiques et de GEM locaux est en cours (source : Fiche ARS Auvergne-Rhône-Alpes, 2022).
  • Groupe d’entraide mutuelle « Les Forces du cœur » à Montluçon : Ce GEM rural propose des ateliers de parole, d’activités manuelles et d’entraide, permettant l’accès à la socialisation et la lutte contre l’isolement psychique (source : Annuaire Psycom).
  • Pair-aidance au CH Henri Mondor à Aurillac : Depuis 2021, une expérience-pilote porte sur l’embauche de pairs professionnels intervenant lors de prises en charge post-crise et au sein de l’unité d’hospitalisation (source : Rapport activité 2022 du CH Aurillac).

Ces initiatives incarnent une conviction : le rétablissement en santé mentale passe aussi par la reconnaissance pleine et entière du rôle des personnes concernées.

Associations et collectifs de soutien : inventivité et solidarités

Face à la faible couverture institutionnelle, le tissu associatif se mobilise. Si les GEM offrent un point d’ancrage, d’autres collectifs émergent et multiplient à la fois les offres d’écoute et d’activités inclusives.

  • Association Da Capo (Cantal) : Autour d’un café social associatif, Da Capo développe depuis 2019 un programme de rencontres, d’ateliers d’écriture, d’espaces de parole et de co-construction d’initiatives (source : Communiqué presse Da Capo, 2022).
  • UNAFAM Allier : La délégation organise des groupes de parole mensuels à Moulins, Vichy et Montluçon, anime des séances thématiques (accès aux droits, crise suicidaire), et participe aux actions de sensibilisation dans le département (source : UNAFAM Allier).
  • « Oxygène » (Ytrac, Cantal) : Programme de répit pour les proches aidants, porté par une mutualisation entre associations et services sociaux, avec la participation de professionnels en santé mentale et d’usagers experts.

A noter aussi le développement de petits réseaux informels, souvent « hors structures », mis en place via les réseaux sociaux ou le bouche à oreille local. Ces groupes, non référencés officiellement, restent essentiels pour relayer des informations et permettre la première mise en contact lors de moments de crise.

Des plateformes ressources : mutualisation et accès facilité pour tous

Pour pallier les obstacles géographiques, plusieurs initiatives misent sur le numérique. Loin de remplacer la présence humaine, ces outils ouvrent de nouvelles fenêtres sur l’accès à l’information, l’orientation et la prise en charge.

  • Plateforme « Cap Santé Mentale » (Allier et Cantal) : Mutualisée à l’échelle de la région, cette ressource en ligne permet de localiser les structures d’accueil, les associations, et d’accéder à des informations validées sur les troubles psychiques. Créée en 2021 par Réseau Santé Mentale AURA et les Conseils Locaux de Santé Mentale (CLSM).
  • CLSM de Moulins et Aurillac : Les Conseils Locaux, outils de coopération municipale, diffusent chaque mois un agenda des actions prévention, réunions ouvertes et temps d’échanges grand public (source : CLSM Moulins 2023, site mairie).
  • Répertoire Psycom AuRA : Donne une visibilité aux offres et aux initiatives du secteur, mais intègre aussi des témoignages, des podcasts, et des supports interactifs à destination des familles, patients, soignants (source : Psycom AuRA).

Il s’agit là de tenter de désenclaver l’information et d’apporter une visibilité nouvelle à des acteurs locaux trop souvent isolés.

Implantation de nouvelles formes d’habitat accompagné

Dans des territoires où l’offre médico-sociale reste ancienne et fragmentée, l’émergence de projets d’habitat inclusif marque une rupture intéressante. On remarque dans l’Allier et le Cantal plusieurs expériences-pilotes, portées soit par des bailleurs sociaux, soit par des collectifs d’usagers.

  • Projet « Habiter Autrement » à Bellerive-sur-Allier : L’objectif ? Permettre à des personnes avec troubles psychiques d’accéder à un logement ordinaire, avec un accompagnement ponctuel par des pairs et travailleurs sociaux. Ce projet expérimental, initié par l’ADAPEI 03 et le bailleur DOMOFrance, s’est ouvert en 2022 avec trois premiers locataires.
  • Espaces d’accueil à mobilité réduite dans l’agglomération d’Aurillac : Pilotés par la Mutualité Française et la commune, ces appartements-passerelles offrent un appui personnalisé, avec une équipe mobile intervenant selon les besoins, permettant évaluation et réadaptation sociale. Fin 2023, 11 places étaient occupées (source : Mutualité Française AuRA, 2023).

Ces projets répondent à la volonté d’éviter l’hospitalisation évitable et de favoriser le maintien dans la cité, en phase avec la politique nationale de désinstitutionalisation.

La lutte contre l’isolement et la prévention du suicide : un défi local

L’isolement et le risque suicidaire restent critiques en zone rurale. Selon l’Observatoire Régional de Santé Auvergne-Rhône-Alpes (ORS AuRA, 2022), les taux de suicide du Cantal sont 1,4 fois supérieurs à la moyenne nationale, et l’Allier est quant à lui marqué par des inégalités territoriales d’accès à la prévention.

  • L’Espace Ressource Prévention Suicide (ERPS), basé à Saint-Flour, créé en 2020, réunit professionnels, usagers et familles pour organiser des groupes de soutien, de la sensibilisation en milieu scolaire et des interventions d’urgence. Chiffres-clés : près de 120 interventions auprès de jeunes en 2022, et lancement de sessions annuelles « Les journées de la vie » pour changer le regard sur les crises suicidaires (source : ERPS, rapport 2022).
  • Programme « Prendre soin – Se former entre pairs » (Moulins) : Un nouveau cycle de formations en 2023 coanimé par des pairs, dédiés à la prévention des risques, en lien avec le SPEPS (Service de Promotion et Éducation en Santé Publique). Objectif : armer chacun pour repérer, écouter, alerter (source : SPEPS Allier).

Des groupes informels, animés par des pairs, proposent aussi des « numéros compagnons », des points d’écoute anonymes et une vigilance collective contre la solitude, particulièrement accrue lors des périodes de confinement liées à la crise sanitaire.

Initiatives auprès des jeunes et inclusion sociale

Les problématiques de santé mentale émergent de plus en plus tôt : dans l’Allier, selon l’ARS (2023), 22 % des jeunes de 16 à 25 ans disent traverser des moments de détresse psychique prolongée. Les acteurs de terrain se mobilisent depuis cinq ans pour élaborer des réponses coordonnées.

  • Point Accueil Écoute Jeunes (PAEJ) à Moulins, Vichy et Montluçon : Trois permanences hebdomadaires anonymes, gratuites, tenues par des éducateurs et psychologues formés à la médiation par les pairs. Plus de 900 entretiens réalisés entre janvier et septembre 2023, selon le dernier rapport PAEJ Allier.
  • Ateliers « Expression & Création » (Aurillac) : Animés par l’association La Sauce, ils utilisent théâtre, musique et écriture pour travailler sur la stigmatisation, la reprise de confiance et l’inclusion : 120 jeunes touchés en 2022, avec plusieurs restitutions publiques en partenariat avec la Ville d’Aurillac (source : La Sauce, Programme 2023).
  • Collaboration lycée – CLSM : Plusieurs établissements ont signé des conventions avec le CLSM de Moulins pour des ateliers de pair-aidance et des modules de sensibilisation coanimés par des jeunes engagés ayant eux-mêmes un trouble psychique.

Cette dynamique montre combien l’implication des pairs, des jeunes et des proches peut transformer l’accueil, l’écoute et la prise en compte de la parole de chacun.

Perspectives et forces collectives à suivre

L’Allier et le Cantal témoignent d’une santé mentale en transformation qui ne se limite pas aux grandes métropoles. Les initiatives reposent sur la confiance faite à l’intelligence collective, sur l’alliance entre expérience et expertise, sur l’écoute faite à chaque histoire singulière. Le défi reste immense : améliorer la coordination entre acteurs, pérenniser les financements, donner une place centrale aux personnes concernées.

Parmi les défis à relever, on peut citer :

  • La formation systématique des pairs-aidants et leur reconnaissance officielle ;
  • L'accès numérique pour les plus éloignés ;
  • L’articulation entre professionnels et acteurs de terrain hors institution ;
  • Le maintien de l’ancrage local face au risque d’isolement.

Des pistes existent : la création de plateformes régionales de pair-aidance, la multiplication des formations croisées, et la volonté de documenter les innovations « de terrain » pour les partager ailleurs. L’Allier et le Cantal ne manquent pas de ressources, ni de détermination. Les personnes concernées, en particulier, portent – souvent discrètement – une énergie d’entraide, d’inventivité et de résistance qui inspire bien au-delà de leurs frontières.

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