La pair-aidance : un mouvement en pleine construction

La pair-aidance, au croisement de l’expérience personnelle et du soutien professionnel, transforme la prise en charge en santé mentale. Longtemps marginalisée, elle s’impose désormais comme une réponse concrète aux enjeux d’accompagnement, d’empowerment et de citoyenneté des personnes concernées. En Auvergne Rhône-Alpes, cette démarche trouve un écho singulier : par son histoire territoriale, par la densité de son réseau de santé mentale, et par l’émergence de collectifs dynamiques.

Petit panorama de la pair-aidance en France et dans la région

  • En 2022, la Haute Autorité de Santé recensait environ 300 pair-aidants professionnels en France, dont près de 12 % exerçaient en Auvergne Rhône-Alpes (source : HAS, rapport "Fiches repères", 2022).
  • Les premiers postes de pair-aidants recrutés dans la région remontent à 2016, notamment au sein des Établissements Publics de Santé Mentale (EPSM) du Rhône et de la Loire.
  • Lyon, Grenoble et Clermont-Ferrand sont aujourd’hui identifiés comme des pôles moteurs, avec la création de missions de pair-aidance intégrées à l’hôpital public, mais aussi dans le tissu associatif.

Selon le Centre Collaborateur de l’OMS pour la Recherche et la Formation en Santé Mentale, la région Auvergne Rhône-Alpes regroupe plus d’une cinquantaine d’initiatives de pair-aidance actives au sein d’associations, de structures médico-sociales et de services hospitaliers (CCOMS, cartographie 2023).

Quels leviers pour un développement régional accéléré ?

Plusieurs facteurs favorisent la dynamique de développement de la pair-aidance en Auvergne Rhône-Alpes :

  1. Un ancrage historique associatif et militant
    • Des associations comme PsySolidarité Rhône-Alpes, Apact ou le Collectif Inter-Associatif Sur la Santé (CISS-ARA) militent depuis les années 2000 pour la reconnaissance des savoirs expérientiels.
    • Le réseau Solidaires pour la Santé Mentale impulse des projets de pair-aidance dès 2014, autour notamment du dispositif des Groupes d’Entraide Mutuelle (GEM).
  2. Des formations adaptées et reconnues
    • Depuis 2018, l’Université Lumière Lyon 2 propose un D.U. Pair-aidance en santé mentale, avec une quarantaine de diplômés par an et des intervenants aussi bien issus du secteur de la santé que de l’expérience vécue (source : Université Lyon 2).
    • Les CREAI (Centres régionaux d'étude, d'action et d'information) formations développent également des modules spécifiques dédiés à la transmission de compétences en pair-aidance et en rétablissement.
  3. L’implication d’établissements et de réseaux hospitaliers
    • Les Hospices Civils de Lyon (HCL) ont recruté depuis 2017 des pairs-aidants dans plusieurs unités, intégrant ces professionnels à l’ensemble du parcours (accueil, groupes, accompagnement aux consultations).
    • Des hôpitaux comme le Centre hospitalier le Vinatier ou le CHU de Grenoble Alpes ont lancé des sites pilotes de pair-aidance dans les unités de psychiatrie adulte et pédopsychiatrie, ainsi qu’en addictologie.

Du terrain aux usages : quelles modalités concrètes d’intervention ?

La pair-aidance en Auvergne Rhône-Alpes se distingue par une grande diversité de pratiques selon le terrain. On retrouve notamment :

  • La pair-aidance en institution : Par exemple, à l’EPSM de la Loire, les pairs participent aux réunions d’équipe, créent des supports d’information, coaniment des ateliers sur le rétablissement et facilitent l’expression des usagers dans les unités (rapport d’activité EPSM Loire, 2023).
  • La pair-aidance associative : Les GEM (Groupes d’Entraide Mutuelle, plus de 60 en Auvergne Rhône-Alpes selon la CNSA) proposent des permanences, ateliers, groupes thématiques, et parfois même des accompagnements individuels hors institution.
  • L’accompagnement à domicile ou « hors les murs » : Certains dispositifs, notamment en Isère et en Savoie, positionnent les pairs-aidants en relais de l’équipe mobile pour faciliter la transition hôpital-domicile.
  • La formation par les pairs : Plusieurs associations et hôpitaux font intervenir des pairs dans la formation des professionnels ou des bénévoles, sur les sujets du rétablissement, des droits des usagers ou de la stigmatisation.

Impacts observés et retours d’expérience

Le développement de la pair-aidance a généré une série de retombées positives, évaluées lors d’études régionales récentes (Agence Nationale d’Appui à la Performance, 2023) :

  1. Amélioration du bien-être des personnes accompagnées :
    • 81 % des personnes interrogées dans le Rhône signalent un « sentiment accru de pouvoir d’agir sur leur santé » après contact avec un pair-aidant.
    • Les usagers rapportent une meilleure compréhension de leur parcours thérapeutique et des outils de gestion de crise.
  2. Retombées sur l’institution :
    • Les équipes mettent en avant un « effet antidote » sur la stigmatisation, expliquant que la présence de pair-aidants favorise l’ouverture à des pratiques plus horizontales.
    • 9 établissements sur 10 souhaitent renforcer le recours aux pairs dans les prochaines années (étude interne HCL, 2022).
  3. Mise en réseau et mobilisation citoyenne :
    • Plusieurs tables rondes régionales réunissent chaque année pairs, proches, professionnels et décideurs pour partager expériences et plaider pour l’évolution des statuts (Journées régionales de la pair-aidance, Lyon, 2023).

Freins au développement et enjeux à venir

Si la dynamique est prometteuse, certains freins persistent :

  • Reconnaissance professionnelle inégale : Malgré les formations, le statut de pair-aidant reste souvent précaire, avec des contrats courts et des salaires inférieurs à ceux d’autres intervenants du soin.
  • Manque de financement dédié : Les postes dépendent fréquemment de financements expérimentaux ou associatifs, rendant la pérennisation difficile (source : Fédération des Acteurs de la Solidarité Auvergne Rhône-Alpes, bilan 2023).
  • Notoriété encore limitée auprès du grand public : Beaucoup de personnes concernées, mais aussi de proches et de professionnels, ne connaissent pas clairement le rôle ou l’accès à la pair-aidance.
  • Questions éthiques et de posture : La frontière entre engagement militant et cadre professionnel interroge, et nécessite des dispositifs d’analyse de pratique et de supervision renforcés.

Perspectives et invitation à la mobilisation

La pair-aidance porte une promesse : celle d’une santé mentale transformée par et avec les personnes concernées, dans une dynamique de droits, de savoirs partagés et d’action collective. L’Auvergne Rhône-Alpes offre un territoire d’expérimentation que d’autres régions observent avec attention. D’ici 2025, plusieurs pistes se dessinent :

  • L’élargissement de la formation initiale et continue pour les pairs, y compris à distance.
  • Le développement de postes de coordination de la pair-aidance dans les établissements publics, permettant une meilleure intégration et évaluation du dispositif.
  • La communication renforcée auprès du grand public et auprès des usagers potentiels, via la mutualisation entre associations, services hospitaliers et collectivités.
  • La participation accrue des pairs aux politiques publiques, notamment dans la co-construction des Projets Territoriaux de Santé Mentale (PTSM).

Les besoins restent nombreux, mais les ressources, les alliances et l’engagement ne manquent pas. Le mouvement de la pair-aidance, en Auvergne Rhône-Alpes comme ailleurs, dispose désormais de bases solides pour changer durablement la donne sur le terrain de la santé mentale.

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