De la précarité à la reconnaissance : l’essor institutionnel de la pair-aidance

La pair-aidance, longtemps portée par des collectifs militants ou des associations de personnes concernées, suscite désormais l’intérêt croissant des institutions publiques, en particulier dans la région Auvergne Rhône-Alpes. Cette mutation témoigne d’une volonté de transformer la santé mentale : faire du savoir expérientiel un atout structurant des parcours de rétablissement et encourager l’implication directe des usagers à chaque étape du soin.

Depuis les années 2010, la nécessité d’ouvrir les politiques publiques à la parole et l’expertise d’usage a été plusieurs fois affirmée dans les rapports officiels, notamment celui de la Cour des Comptes (2021) sur la psychiatrie. Cette reconnaissance progressive s’appuie sur des initiatives locales, des financements, des formations et la création de nouveaux dispositifs. Mais à quoi ressemblent réellement ces actions institutionnelles ? Quelles en sont les forces, les limites et les axes d’amélioration ? Voici un tour d’horizon actualisé pour saisir comment la région Auvergne Rhône-Alpes structure et accompagne la pair-aidance.

L’ancrage régional : pourquoi les institutions publiques misent sur la pair-aidance ?

  • Une politique nationale relayée localement : Depuis 2018, l’État promeut la pair-aidance dans la feuille de route « Santé mentale et psychiatrie » (Ministère de la Santé). Les agences régionales de santé (ARS) s’emparent de cet axe, organisent des appels à projets dédiés à l’accompagnement par les pairs et soutiennent l’essaimage dans les territoires.
  • Un besoin local identifié : En Auvergne Rhône-Alpes, l’ARS a recensé en 2022 plus de 53 000 personnes suivies en psychiatrie dans le secteur public. Les ruptures de parcours, le manque d’offre diversifiée, le besoin d’empowerment des personnes concernées : autant de leviers pour soutenir des dispositifs d’entraide professionnelle et citoyenne.
  • Un levier d’innovation sociale : Plusieurs établissements régionaux expérimentent des formes de pair-aidance au sein même des services (unités d’hospitalisation, Centres Médico-Psychologiques, Groupes d’entraide mutuelle - GEM). Cela répond à la volonté de décloisonner le système, de lutter contre la stigmatisation, de fluidifier l’accès aux soins et de diversifier les expertises proposées.

Financements : quelles aides concrètes pour structurer la pair-aidance régionale ?

Le soutien des institutions publiques passe d’abord par des financements ciblés. Ces derniers connaissent une réelle montée en puissance depuis 2020.

  • Appels à projets ARS : De 2018 à 2023, l’ARS Auvergne Rhône-Alpes a financé 16 initiatives orientées pair-aidance, de la création de postes de pair-aidants au développement de collectifs de formation et de supervision. (Source : ARS ARA, bilan 2023)
  • Appui aux GEM : La région compte, fin 2023, 45 Groupes d’Entraide Mutuelle en santé mentale, tous subventionnés en partie par l’ARS, auxquels s’ajoutent des financements départementaux. Plus de 4 millions d’euros y ont été alloués en 2022 dans la région (source : site Unafam ARA).
  • Projets d’expérimentation « pair-aidance insérée » : L’ARS a financé en 2022 deux établissements pilotes à Lyon et Grenoble, pour la création d’équipes mobiles mixtes (professionnels + pairs) en psychiatrie adulte.
  • Appui à la formation et à la certification : De plus en plus d’appels à projets intègrent un volet formation, comme la formation universitaire de Pair-aidant professionnel (DIU Université Lyon 1/Université Lyon 2), qui a vu tripler son nombre d’inscrits entre 2019 et 2023, passant de 13 à 41 participants/an (source : Université Lyon 1).

Des dispositifs qui font vivre la pair-aidance dans les territoires

L’appui institutionnel ne se limite pas au financement. Il passe aussi par l’expérimentation et la mise en place de dispositifs innovants, concertés avec les associations de personnes concernées.

  • L’intégration de pair-aidants salariés dans les établissements : Depuis 2019, des hôpitaux publics lyonnais (ex. : Centre Hospitalier Le Vinatier) et grenoblois recrutent des pair-aidants comme salariés à temps partiel ou plein temps. En 2023, plus de 18 personnes occupaient un tel poste dans la région (source : Fédération régionale de recherche en santé mentale).
  • Réflexion sur l’encadrement et la déontologie : Les institutions travaillent, via des groupes de travail pilotés par l’ARS, à l’élaboration de référentiels de bonnes pratiques et à la formation des équipes pour réussir l’accueil, l’intégration et la montée en compétence des pairs salariés.
  • Le rôle des têtes de réseau et collectifs associatifs : Le Collectif Inter-associatif en Santé Auvergne Rhône-Alpes (CISS ARA) et la Fédération régionale des usagers en psychiatrie (FRUP) co-animent des rencontres régionales, participent à la formation et au repérage des besoins locaux.

Quels bénéfices mesurés et quels freins persistants ?

L’appui public a permis de franchir des étapes importantes, mais les défis persistent. Entre acquis et pistes d’amélioration :

  • Des impacts concrets : D’après l’évaluation 2022 de l’ARS et du CREAI, l’intégration de pairs salariés entraîne une baisse du taux de sorties contre avis médical (–21% dans les services concernés, source : CREAI Rhône-Alpes 2022), et une amélioration des taux de satisfaction des usagers sur la compréhension de leurs droits (+37%). Les GEM affichent de leur côté une réduction de l’isolement social des adhérents de plus de 35% après six mois de participation (source : UNAFAM Rhône-Alpes, 2022).
  • Des résistances culturelles et organisationnelles : Le manque de connaissance du rôle des pairs, la crainte de brouiller la frontière avec le soin, ou les difficultés à articuler pratiques professionnelles et témoignages vécus sont encore des obstacles fréquents pour un déploiement fluide.
  • Un manque de stabilité de l’emploi : 43% des pairs-aidants salariés en établissement public en Auvergne Rhône-Alpes sont sur des contrats CDD (source : CREAI ARA 2022). Cela freine leur inscription durable dans les équipes.
  • Formation, supervision, reconnaissance : La formation initiale et continue fait défaut à grande échelle : seuls 24% des pairs salariés accèdent à une supervision professionnelle régulière (Fédération Régionale de Recherche en Santé Mentale, 2023). La création de parcours diplômants reconnus reste encore limitée malgré une forte demande.

La concertation : moteur d’un déploiement éthique et efficace

L’écosystème de la pair-aidance régionale se construit par dialogue constant :

  • Commissions techniques et journées régionales : L’ARS Auvergne Rhône-Alpes organise au moins deux temps de bilan et de prospective chaque année, réunissant pairs, professionnels, usagers, proches, institutions et chercheurs.
  • Construction participative des référentiels (par exemple : référentiel de missions pour pairs-aidants salariés élaboré en 2022 avec les associations d’usagers et le CREAI).
  • Groupes de travail sur la prévention de l’épuisement et la rémunération équitable (notamment sous l’égide du Conseil Régional et de la MDPH pour les postes en ESMS).
  • Appui à l’essaimage d’initiatives de proximité : ateliers d’écriture, de sport adapté, formations-relais dans les communes rurales, etc. – portés par des associations comme « Santé Mentale France » ou « Les Psychonautes ».

Regards vers l’avenir

Les institutions publiques en Auvergne Rhône-Alpes jouent aujourd’hui un rôle décisif dans la reconnaissance, la formation et la sécurisation des parcours de pair-aidance. Les premiers résultats démontrent que leur appui soutenu change la donne tant pour les bénéficiaires que pour le système de soins lui-même, en créant des espaces de dialogue et des passerelles entre pratiques professionnelles et savoirs expérientiels.

Les prochains défis seront :

  • La généralisation des projets pilote à l’ensemble du territoire, y compris en milieu rural
  • La transformation des pratiques de recrutement et de formation pour renforcer la professionnalisation des pairs
  • La consolidation de la reconnaissance statutaire et salariale
  • La construction d’indicateurs d’évaluation partagés intégrant l’avis des pairs-aidants et des bénéficiaires eux-mêmes

Ce mouvement n’est pas encore achevé : il sera, dans les années à venir, d’autant plus fécond que les acteurs concernés resteront engagés dans le dialogue, l’innovation et la co-construction. Cette dynamique régionale inspire déjà d’autres territoires, posant les jalons d’une santé mentale plus juste, solidaire et inclusive.

  • Cour des Comptes, rapport « La psychiatrie en France » (2021)
  • ARS Auvergne Rhône-Alpes, Bilan Pair-aidance (2023), disponible sur le site de l’ARS
  • Université Lyon 1, chiffres DIU Pair-aidance
  • CREAI Rhône-Alpes, Étude Pair-Aidance (2022)
  • UNAFAM Rhône-Alpes, bilan des GEM (2022)
  • Fédération régionale de recherche en santé mentale (2023)

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