Introduction : La pair-aidance, une dynamique en pleine structuration

La pair-aidance a cessé d’être une simple démarche expérientielle isolée pour devenir un véritable mouvement organisé, fédérateur et innovant dans la transformation des pratiques en santé mentale. En Auvergne Rhône-Alpes, comme ailleurs en France, l’essor de la pair-aidance s’appuie de plus en plus sur des réseaux professionnels structurés. Ces réseaux ne se limitent pas à la mutualisation : ils défendent des droits, impulsent des actions de formation, informent, accompagnent et réinventent avec audace la relation d’aide.

Mais quels sont ces réseaux ? Comment interviennent-ils concrètement ? Quels impacts produisent-ils ? Cet article cartographie les principaux réseaux, leurs missions, les freins et leviers qu’ils rencontrent, ainsi que les perspectives qui s’ouvrent pour la pair-aidance à l’échelle régionale.

Panorama des principaux réseaux de pair-aidance en Auvergne Rhône-Alpes

À l’échelle régionale, la structuration de la pair-aidance repose sur un tissu varié d’acteurs. Plusieurs réseaux s’appuient sur des modèles nationaux et locaux, chacun avec sa spécificité et un degré de reconnaissance et de professionnalisation croissant.

  • Le Collectif de la Pair-aidance en Santé Mentale (CPSM AuRA) : Émanation régionale du Collectif national, le CPSM AuRA réunit des pairs-aidants, patients-experts, associations d’usagers, familles et professionnels convaincus de la valeur ajoutée des savoirs expérientiels. Il œuvre à la représentation, à la mise en réseau et à la défense de la pair-aidance dans les établissements de santé, dispositifs médico-sociaux et dans la cité. Source : Collectif national de la pair-aidance en santé mentale
  • Les Groupements d’Entraide Mutuelle (GEM) : Les GEM, financés principalement par l’Assurance Maladie, sont des lieux cogérés par les personnes concernées elles-mêmes. En région, ils collaborent via la Fédération régionale des GEM AuRA ; ils mènent des actions collectives, font circuler l’information et portent la voix des membres dans les politiques sociales locales. Selon le rapport IGAS 2023, on compte plus de 90 GEM sur la région.
  • Les plateformes d’accompagnement et de répit (PAR) : Bien que centrées initialement sur les aidants familiaux, plusieurs PAR intègrent désormais des dynamiques de pair-aidance et travaillent en lien avec les GEM ou des pairs-aidants professionnels.
  • L’Unafam Rhône-Alpes : Association représentative des familles et proches de personnes vivant avec des troubles psychiques, l’Unafam assure la formation, la sensibilisation et propose des groupes de parole animés par et pour les pairs. Le réseau régional s’étend à la formation de pairs-aidants familiaux, agissant comme un catalyseur de l’implication des proches.
  • Les dispositifs hospitaliers : De plus en plus de Centres Hospitaliers Spécialisés (CHS) ou Centres de Réhabilitation Psycho-sociale (CRPS) recrutent des pairs-aidants professionnels (titulaire du CQP Pair-aidance ou de formations universitaires de type DU Pair-aidance psycho-sociale). Ces pairs travaillent au sein d’équipes mobiles, d’unité d’hospitalisation ou en ambulatoire. On recense à Lyon, Grenoble, Clermont-Ferrand, Annecy et Saint-Étienne les premiers outils de coordination régionale.
  • FORMATION & RECHERCHE Plusieurs universités régionales proposent désormais des Diplômes Universitaires (DU) spécifiques à la pair-aidance, portés parfois en lien avec des collectifs ou réseaux de terrain. Par exemple, le DU Pair-aidance et santé mentale de l’Université Claude-Bernard Lyon 1, ouvert en 2018, s’appuie sur un réseau de partenaires issus du public, du privé non lucratif et du champ associatif (source).

Quelles missions pour ces réseaux ?

La structuration régionale ne se limite pas à de la coordination. Elle répond à plusieurs besoins fondamentaux :

  • Représenter : défendre les intérêts des pairs-aidants et de la pair-aidance dans des instances de concertation ou des appels à projet régionaux (ex : ARS AuRA ou Conseils Territoriaux de Santé).
  • Former : mutualiser des contenus de formation, labelliser des cursus, proposer des partages de pratiques, soutenir la montée en compétences.
  • Accompagner : proposer du tutorat, du parrainage, soutenir les pairs dans leur prise de poste, prévenir la surcharge ou l’épuisement.
  • Informer et sensibiliser : produire de la documentation, organiser des séminaires, colloques ou rencontres régionales.
  • Initier ou soutenir des projets innovants: expérimentation de nouveaux dispositifs, développement des logements inclusifs, actions de sensibilisation à la lutte contre la stigmatisation.

Quelques chiffres clés régionaux

  • En 2023, 50% des CHS de la région déclaraient collaborer avec au moins un pair-aidant salarié ou bénévole (source : enquête interne CCOMS-AuRA).
  • Plus de 350 pairs-aidants appartiennent à un réseau actif dans l’espace régional, tous statuts confondus (association, salarié, bénévole).
  • Le nombre de GEM en Auvergne Rhône-Alpes a augmenté de 40% en cinq ans, soit 95 structures en 2024 contre 68 en 2019 (sources : ARS AuRA, Fédération Nationale des GEM).
  • Depuis la création du DU Pair-aidance à Lyon, plus de 130 pairs-aidants diplômés ont été formés entre 2018 et 2024 (source : Université Claude Bernard Lyon 1).

Freins, leviers et enjeux pour les réseaux professionnels régionaux

Freins et obstacles repérés

  • Reconnaissance professionnelle partielle : malgré la création du CQP Pair-aidant et l’essor de cursus universitaires, les statuts demeurent précaires et hétérogènes ; la rémunération et l’intégration dans les équipes sont inégales (source : ANPAA, Unafam, 2023).
  • Fragmentation des initiatives : la coordination entre pairs-aidants salariés, bénévoles, et structures associatives reste parfois insuffisante, freinant l’impact des actions.
  • Chiffres peu consolidés : le recensement exact des pairs-aidants et de leurs actions à l’échelle régionale dépend beaucoup de la mobilisation locale et de l’auto-recensement, ce qui rend la visibilité encore fragile (source : CNSA 2023).

Leviers et facteurs de réussite

  • Soutien institutionnel accru : l’ARS AuRA, via son plan santé mentale, encourage désormais explicitement le recrutement et la formation de pairs dans les établissements.
  • Montée en compétence par la formation : le développement de cursus universitaire, la reconnaissance de l’expérience, et la possibilité de validation des acquis de l’expérience (VAE) par exemple, favorisent la légitimité de la pair-aidance.
  • Synergie avec le milieu associatif : les alliances entre patients-experts, familles, aidants professionnels, sociétés savantes et institutions produisent des effets durables et mutualisent les ressources (source : Fédération Nationale des GEM, colloque 2024).

Initiatives marquantes et bonnes pratiques en Auvergne Rhône-Alpes

  • Le Séminaire régional de la pair-aidance (2022-2023): organisé à Lyon et Clermont-Ferrand, ces rencontres ont permis à plus de 200 participants de partager innovations, méthodes et retours d’expérience (Fédération des GEM).
  • Plateforme Réacteurs Pair-aidance : ce dispositif collaboratif porté par des pairs-aidants salariés à Grenoble expérimente de nouveaux modèles de tutorat et d’intégration inter-établissements.
  • Le projet « Parcours Solidaire » entre Annecy et Chambéry : la construction d’un réseau mixte associant GEM, établissements spécialisés et usagers pour favoriser l’accès à la citoyenneté et à la formation des pairs.

Perspectives et dynamiques émergentes

L’avenir de la pair-aidance régionale s’écrit aujourd’hui dans l’expérimentation continue et la légitimation croissante de la démarche. L’un des enjeux majeurs sera de garantir, à travers les réseaux professionnels, une reconnaissance institutionnelle solide, mais aussi de préserver l’agilité et le pouvoir d’agir intrinsèque des pairs. D’ores et déjà, plusieurs réflexions sont en cours autour d’une charte régionale de la pair-aidance, portée par les différents réseaux évoqués ici, afin d’harmoniser les pratiques, les statuts et de mieux valoriser la diversité des parcours.

La région Auvergne Rhône-Alpes, grâce à la mobilisation de ses réseaux, confirme son rôle de laboratoire d’innovation sociale en matière de santé mentale. La dynamique enclenchée montre que la pair-aidance ne sera pleinement structurée qu’à condition de conjuguer expertise du vécu, volonté collective et engagement fort des différentes parties prenantes.

Principales sources utilisées :

  • Collectif national de la pair-aidance en santé mentale
  • Fédération Nationale des GEM
  • ARS Auvergne Rhône Alpes
  • CCOMS (Centre Collaborateur de l’OMS pour la recherche et la formation en santé mentale)
  • Université Claude Bernard Lyon 1
  • ANPAA, Unafam, CNSA

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