Redéfinir l’accompagnement : pourquoi l’autonomie est centrale aujourd’hui

L’accompagnement des personnes vivant avec des troubles psychiques a longtemps été pensé autour de la protection et de la dépendance au système de soins. Pourtant, depuis plusieurs années, une transformation s’opère : l’accent se déplace vers l’autonomie, l’empowerment, et la capacité de chaque personne à redevenir acteur de sa santé mentale. Selon l’OMS, promouvoir l’autonomie permet non seulement une meilleure qualité de vie, mais aussi une diminution des hospitalisations évitables et un meilleur engagement dans le parcours de soins (OMS, 2021).

En France, la Loi du 26 janvier 2016 de modernisation du système de santé met explicitement l’accent sur les droits et la participation des usagers du système de santé, reconnaissant que les personnes concernées doivent pouvoir faire des choix éclairés et adaptés à leurs projets de vie.

Comprendre l’autonomie : de quoi parle-t-on vraiment ?

L’autonomie ne signifie pas faire seul : elle décrit la capacité à faire des choix, à agir selon ses valeurs et ses besoins, et à participer activement à son parcours de vie et de soin. Il ne s’agit donc pas d’abandonner la personne, mais de trouver, avec elle, le bon équilibre entre soutien et responsabilisation.

  • Autonomie personnelle : capacité à prendre des décisions concernant sa propre vie (quotidien, emploi, relations).
  • Autonomie dans les soins : possibilité de s’informer, s’exprimer sur les traitements, participer à la co-construction des parcours thérapeutiques.
  • Autonomie sociale : possibilité d’exercer des droits, de s’insérer dans la société, de retrouver une vie citoyenne.

Dans les faits, de nombreux rapports pointent cependant que le risque de « fausse autonomie » existe, dès lors que l’on limite la personne à des choix théoriques non accompagnés, ou que l’on oublie que l’accompagnement doit s’adapter à l’évolution de la souffrance psychique (Rapport France Santé Mentale, 2022).

Panorama des modèles d’accompagnement axés sur l’autonomie

1. La pair-aidance : l’expertise de l’expérience, un levier d’autodétermination

La pair-aidance s’est imposée dans de nombreux établissements comme un modèle innovant, permettant aux personnes ayant vécu elles-mêmes des troubles psychiques d’accompagner d’autres usagers. Le rapport de l’IGAS de 2022 indique que 81 % des participants à des programmes de pair-aidance se sont sentis renforcés dans leur capacité à prendre des décisions concernant leurs parcours de soins (IGAS, 2022).

  • Les clés du modèle :
    • Partage du vécu et entraide horizontale
    • Valorisation des compétences hors du seul registre médical
    • Représentation positive du rétablissement
  • Exemple : Les GEMs (Groupes d’Entraide Mutuelle) présents en Rhône-Alpes créent des lieux où les personnes gèrent ensemble les activités, discutent de leur projet, et développent des compétences collectives tout en sortant de l’isolement.

2. L’approche centrée sur la personne et le Projet de Soin Personnalisé

Le modèle du care participatif, inspiré par les travaux de Carl Rogers et consolidé dans de nombreux guides de bonnes pratiques (HAS, 2023), fait du patient un acteur du projet d’accompagnement. 

  1. Écoute active : Prendre en compte le point de vue, les choix et l’histoire de vie, et s’appuyer sur ces éléments pour ajuster le soutien proposé.
  2. Co-construction : Élaborer, avec la personne suivie et éventuellement ses proches, des objectifs concrets, précis, évolutifs.
  3. Réévaluation régulière : Adapter le projet en fonction des avancées et des difficultés émergentes.

Selon la HAS, ce type d’accompagnement améliore de près de 30 % la satisfaction des personnes concernées et réduit significativement le taux de ruptures de suivi (HAS, Guide patient, 2023).

3. Les modèles orientés rétablissement (Approche Recovery)

Le courant du rétablissement, ou « Recovery », né dans les pays anglo-saxons, s’est imposé comme une référence majeure : « le rétablissement est un chemin personnel, unique, qui ne signifie pas l’absence de symptômes, mais la reconquête d’une vie pleine de sens, malgré les troubles » (Santé Publique France).

  • Piliers :
    • Espoir, identité, sens, et responsabilisation
    • Accompagnement multidisciplinaire : soignant, pair-aidant, psychologue, travailleur social, proches
    • Respect du rythme et des priorités de la personne

Un travail de synthèse montre que les dispositifs inspirés du modèle Recovery favorisent la reprise d’activité professionnelle ou associative dans 40 à 65% des cas, là où les modèles traditionnels tournés vers la prise en charge atteignent à peine 30% (The Lancet Psychiatry, 2016).

4. Les modèles communautaires et d’inclusion sociale

Être autonome, c’est exister dans la cité, reconquérir des droits sociaux, lutter contre l’isolement. Les modèles communautaires parient sur l’intégration, le lien social, les partenariats avec les acteurs du droit commun (associations, centres sociaux, etc.).

  • Pratiques concrètes :
    • Participation à la vie associative locale : ateliers, bénévolat, cuisines collectives
    • Interventions de travailleurs pairs dans les missions locales ou foyers jeunes travailleurs

Une étude menée en Rhône-Alpes indique que 52 % des personnes ayant recours à un accompagnement social communautaire se sentent capables de réclamer seuls une prestation administrative, contre 24 % sans ce soutien spécifique (Source : ORS Auvergne Rhône-Alpes, 2022).

Qu’est-ce qui fonctionne vraiment ? Facteurs de réussite et limites

Ce qui favorise vraiment l’autonomie :

  • L’accord collectif : Les démarches qui impliquent à la fois la personne concernée, ses proches et une équipe pluridisciplinaire présentent un taux de satisfaction et de maintien dans le parcours nettement plus élevé (source : Rapport Aides de proximité, DGS, 2021).
  • L’accès à l’information claire et appropriée : Les campagnes simples, les ateliers de formation à la santé mentale augmentent fortement la confiance des participants dans leurs capacités à exprimer leurs besoins.
  • La flexibilité des structures : Les dispositifs permettant des allers-retours entre accompagnement intensif, soutien ponctuel, activités collectives et espace individuel (exemples : équipes mobiles, GEMs).
  • La reconnaissance des droits : De nombreux programmes souffrent encore d’un manque de connaissance autour de la capacité juridique ou du droit à la réversibilité des décisions.

Principales limites et points de vigilance

  • L’autonomie n’est pas le désengagement : Attention aux usages dévoyés du terme « autonomisation », qui peut parfois servir de prétexte à la réduction des moyens ou à une forme de retrait masqué de l’aide.
  • Accessibilité géographique et sociale : Beaucoup de dispositifs sont absents en milieu rural ou dans certains quartiers périphériques, ce qui crée des inégalités d’accès marqué (INSEE, Accès à la santé mentale, 2020).
  • Formations insuffisantes : La formation à l’accompagnement orienté autonomie manque encore de lisibilité et de dispositifs nationaux pour garantir la qualité et l’éthique de l’accompagnement.

Des initiatives inspirantes en Auvergne Rhône-Alpes

  • Le programme « Montagne d’Espoir » (Isère) : Ateliers basés sur la co-construction des activités entre personnes concernées, pairs et intervenants sociaux, favorisant l’apprentissage de démarches concrètes d’autonomisation dans la vie quotidienne (source : Réseau Bulle 38).
  • GEM Le Lien Grenoble : Lieu autogéré où chaque membre participe à l’organisation quotidienne, développe de nouveaux savoir-faire (budget, animation, citoyenneté), et accède à une médiation pour les démarches administratives. Témoignages anonymisés recueillis par l’UNAFAM montrent que les membres se sentent plus confiants pour faire valoir leurs droits sociaux.
  • Dispositif d’équipe mobile précarité et santé mentale dans la Drôme : Intervention sur le lieu de vie, prise en compte globale de la situation, séances dédiées à la valorisation du pouvoir d’agir (source : Agence Régionale de Santé ARA).

Autonomie : ouverture vers une santé mentale plus collaborative et citoyenne

Les modèles d’accompagnement réellement favorables à l’autonomie placent la personne au cœur du dispositif. Ils reposent sur la confiance, la reconnaissance des savoirs issus de l’expérience, la co-construction et le respect du rythme de chacun. Ce qui fonctionne aujourd’hui : la diversité des modèles, la personnalisation, et la capacité à relier accompagnement, action collective et inclusion sociale.

Faire évoluer le système, c’est donc soutenir le développement de la pair-aidance, multiplier les dispositifs à géométrie variable, sensibiliser les professionnels à l’écoute active, et surtout, garantir à chaque personne l’accès à l’information, aux droits, et aux moyens nécessaires pour choisir, concrètement, le chemin de sa propre autonomie.

Les défis sont encore nombreux, notamment sur le terrain de la formation, de l’égalité d’accès et de la lutte contre les stigmatisations. Mais les initiatives locales et les retours d’expérience posent des bases solides : partout où l’on permet aux personnes concernées d’être vraiment actrices, la société devient plus inclusive et la santé mentale plus respectueuse des singularités de chacun·e.

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