Comprendre la pair-aidance et ses fondements

La pair-aidance désigne l’accompagnement par des personnes ayant une expérience vécue du trouble ou du mal-être, qui sont formées et engagées pour soutenir d'autres personnes traversant des situations similaires. Ce modèle, largement reconnu dans la santé mentale, commence à s’étendre à d’autres domaines : cancers, addictions, handicap, mais aussi vieillissement. En France, environ 1 500 pair-aidants interviennent aujourd’hui dans différents contextes (coordination nationale des dispositifs de pair-aidance, 2022).

Un savoir expérientiel au service d’autrui

La force de la pair-aidance réside dans la reconnaissance du savoir issu de l’expérience. Non pas comme un simple partage de vécu, mais comme une compétence à part entière, articulée avec les pratiques professionnelles classiques. La relation qui se crée entre le pair-aidant et la personne accompagnée favorise l’identification, la compréhension mutuelle, et parfois une confiance difficile à établir avec des intervenants sans vécu similaire.

Les EHPAD : terrain de vulnérabilités et d’isolement

Aujourd’hui, la France compte plus de 7 500 établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD), accueillant près de 600 000 résidents (DREES, 2023). La moitié d’entre eux présentent des troubles cognitifs ou psychologiques (Béraud & Roussel, 2022). La question de l’accompagnement humanisant est donc centrale.

  • Isolement social : Selon la Fondation Médéric Alzheimer (2021), 40 % des résidents d’EHPAD reçoivent moins d’une visite par semaine.
  • Dépression et anxiété : Jusqu’à 46 % des résidents présentent des symptômes dépressifs (INVS, 2015).
  • Sentiment de perte de contrôle : L’entrée en EHPAD est souvent vécue comme une rupture, avec une perte d’autonomie et des repères.

Face à ces réalités, l’innovation sociale devient urgente pour donner sens à l’accompagnement, restaurer une dignité et permettre l’expression des voix des aînés.

Pourquoi envisager la pair-aidance en EHPAD ?

L’arrivée de la pair-aidance en EHPAD pourrait répondre à trois enjeux particulièrement saillants :

  1. Rompre l’isolement relationnel par la présence de personnes ayant elles-mêmes traversé ou traversant les réalités du vieillissement, de la dépendance, parfois du deuil ou de la maladie.
  2. Renforcer la participation et l’estime de soi des résidents, en valorisant les savoirs expérientiels, en soutenant les initiatives collectives.
  3. Apporter une médiation innovante dans les équipes, pour mieux comprendre les besoins et les souffrances parfois invisibles des personnes âgées et de leurs proches.

Exemples à l’étranger

Dans certains pays, la pair-aidance fait déjà partie du quotidien en institution pour personnes âgées :

  • Canada : Les « peer support workers » sont impliqués dans des maisons de retraite pour animer des groupes de parole, accompagner des personnes nouvellement arrivées ou soutenir les proches aidants. Selon le Réseau canadien de la santé mentale, ces dispositifs réduisent l’anxiété d’adaptation de 20 à 30% (Mental Health Commission of Canada, 2018).
  • Australie : Les initiatives « Peer for Peer » au sein de résidences seniors montrent une baisse du sentiment d’isolement émotionnel mesuré chez les résidents impliqués (Australian Institute of Health and Welfare, 2019).

Quels profils de pair-aidants en EHPAD ?

La question du profil interpelle : qui peut être pair-aidant en EHPAD ?

  • Des personnes âgées ayant elles-mêmes vécu en EHPAD et bénéficiant d’une expérience constructive.
  • Des aînés vivant avec des pathologies chroniques ou des handicaps et qui souhaitent partager leurs stratégies d’adaptation.
  • Des proches anciens aidants familiaux, ayant accompagné un parent en établissement, prêts à transmettre leur vécu pour soutenir d’autres familles.

La pair-aidance ne se substitue pas au soin, elle enrichit l’offre de soutien, donne d’autres points d’appui, encourage la réflexion éthique autour de la place de la personne âgée.

Les apports concrets de la pair-aidance en EHPAD

  • Soutenir l’intégration lors de l’admission : Lorsqu’une personne rejoint un EHPAD, la rencontre avec un pair-aidant peut atténuer le sentiment de déracinement, donner confiance, informer sur la vie quotidienne de l’établissement.
  • Développer l’entraide entre résidents : Animation de groupes de parole, ateliers sur le partage d’astuces, débat sur le vécu du vieillir ou de la maladie.
  • Mieux comprendre les comportements « problèmes » : Grâce au regard d’un pair, certains troubles du comportement (refus de soins, agressivité, repli) peuvent être mieux compris, et des stratégies non-médicamenteuses collaboratives proposées.
  • Soutenir les aidants familiaux : Offrir un espace d’écoute, partager des ressources, aider à traverser les moments de doute et la culpabilité parfois liée au placement d’un proche.

Un rapport du Conseil de la Vie Sociale en EHPAD (CNSA, 2023) met en avant l’intérêt de mobiliser plus fortement les résidents et leurs proches pour améliorer la qualité de vie et la démocratie participative en établissement – la pair-aidance s’inscrit dans cette dynamique.

Quels obstacles à surmonter ?

Si l’intérêt de la pair-aidance est reconnu, son implantation en EHPAD se heurte à plusieurs défis :

  • La question de la légitimité : Les équipes peuvent douter de la capacité des pairs à intervenir sur des situations complexes, ou mal comprendre la dimension complémentaire de la pair-aidance face au soin.
  • L’état de santé des résidents : Fatigue, troubles cognitifs avancés, difficultés à s’exprimer posent un vrai défi au modèle, tout comme la gestion de l’intimité et de la pudeur.
  • Le cadre juridique et éthique : Quelles missions confier aux pairs ? Quelle formation, quel statut, quelle responsabilité ?
  • Le financement : Les modèles économiques restent à inventer pour rémunérer ou indemniser les pairs, sans tomber dans la précarité.

En France, rares sont les EHPAD qui ont déjà intégré des programmes structurés de pair-aidance. Certaines initiatives pilotes émergent cependant :

  • EHPAD expérimental à Nantes : Introduction d’ateliers d’entraide animés par d’anciens aidants – baisse du sentiment d’abandon exprimé par les familles (source : France Alzheimer, 2023).
  • Projet "Péqueno" en Auvergne : Groupes d’auto-support entre résidents sur le thème de la douleur chronique, menés avec l’appui d’un psychologue formateur en pair-aidance, début prometteur (ARS Auvergne Rhône-Alpes, 2023).

Réussir l’introduction de la pair-aidance : pistes pratiques

Si la pair-aidance en EHPAD reste encore marginale, plusieurs préconisations émergent pour favoriser son développement :

  1. Développer la formation des pairs, y compris sur le vieillissement, la diversité des pathologies, la communication adaptée au grand âge.
  2. Instaurer un cadre clair, en définissant missions, droits et obligations des pairs, et en intégrant la pair-aidance dans les projets d’établissement.
  3. Soutenir la co-formation équipes-pairs pour dépasser les craintes, clarifier les complémentarités, s’appuyer sur l’intelligence collective.
  4. Mesurer les impacts : Suivre la satisfaction, la santé psychique des résidents, la dynamique collective de l’établissement, afin de documenter les bénéfices (CNSA, 2022).

Des fédérations comme France Assos Santé et le Collectif Interassociatif sur la Santé travaillent actuellement sur des guides méthodologiques pour accompagner les établissements et valoriser la fonction de pair-aidant en gérontologie.

Ouvrir la réflexion : et si la pair-aidance changeait notre regard sur la fin de vie et le grand âge ?

Ouvrir la porte à la pair-aidance dans les EHPAD, c’est accepter de bousculer les habitudes, d’oser repenser la notion d’accompagnement. Les personnes âgées, parfois invisibilisées, détiennent aussi des savoirs précieux sur le fait de traverser la maladie, la perte, le vieillissement. Les solliciter comme actrices de leur propre vie, voire comme soutiens d’autres résidents, c’est leur rendre une puissance d’agir et restaurer la dignité au quotidien.

De plus en plus d’établissements prennent conscience que l’avenir de l’accompagnement institutionnel passe par le décloisonnement, la complémentarité des expériences, et la co-construction. Dans ce contexte, la pair-aidance ne doit pas être une simple option parmi d’autres, mais une dimension à part entière de la transformation du secteur. Elle invite à repenser la valeur du lien, du partage et de la transmission – autant d’enjeux majeurs alors que la population vieillit et que les défis de la santé mentale du grand âge se font plus pressants.

  • DREES, « Les établissements d’hébergement pour personnes âgées en 2021 », avril 2023
  • CNSA, Rapport Conseil de la Vie Sociale EHPAD, 2023
  • Fondation Médéric Alzheimer, Baromètre EHPAD, 2021
  • INVS, Étude sur la santé mentale en EHPAD, 2015
  • Mental Health Commission of Canada, 2018
  • France Alzheimer, 2023
  • ARS Auvergne Rhône-Alpes, bilan projet Péqueno, 2023
  • Béraud & Roussel, « Vulnérabilité et troubles psychiques en EHPAD », Revue Gérontologie, 2022
  • France Assos Santé, Dossier pair-aidance, 2023

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