Aux origines d’un mouvement : la pair-aidance, un espoir collectif

La pair-aidance puise ses racines dans l’autodétermination et la reconnaissance du savoir expérientiel. Si, dès les années 1970, des groupes d’entraide mutuelle (GEM), des mouvements comme Advocacy France, et le Collectif Schizophrénies ont été des acteurs pionniers, la structuration du métier de pair-aidant en France est relativement récente. Selon Santé Publique France, le nombre de pairs-aidants formés dans notre pays oscillait autour de 350 en 2022, alors qu’au Canada ou en Angleterre, ils sont des milliers au sein des établissements (source : Revue Santé Publique 2020).

En France, l’essor de la pair-aidance institutionnelle a vraiment décollé depuis 2017 avec la parution de référentiels métiers, la création de diplômes universitaires dédiés (comme le DU Pair-aidance en santé mentale à Lyon ou à Paris 8) et l’appui de fédérations nationales (Fédération des acteurs de la solidarité, CReHPsy, etc.).

Ce que change la présence des pairs-aidants à l’hôpital psychiatrique

Une nouvelle forme de relation d’aide

Au sein des équipes pluridisciplinaires, la pair-aidance permet de décloisonner les relations soignants-soignés. Les pairs-aidants apportent leur expérience vécue du trouble, du rétablissement, de la stigmatisation et des ruptures de parcours. Leur posture ouvre un espace inédit de confiance, d’identification et d’horizontalité.

  • Effet miroir et “modèle positif” : pour de nombreux patients, rencontrer quelqu’un “qui s’en est sorti” ou avance malgré les difficultés constitue un levier puissant d’espoir.
  • Dé-patologisation et empowerment : le témoignage du pair inscrit le rétablissement dans le réel, sans minimiser le trouble mais sans le réduire à une identité d’invalidité.
  • Aide concrète : accès à l’information, à la citoyenneté, confrontation non jugeante aux effets secondaires, astuces du quotidien, etc.

Des apports pour les équipes professionnelles

  • Changement d’approche clinique : Les pairs-aidants participent à faire évoluer la culture du soin, du “faire pour” au “faire avec”.
  • Formation continue : Ils contribuent à sensibiliser les soignants aux vécus de l’usager, à la réduction de la stigmatisation, à la nécessité de co-construire les parcours de soin.
  • Force de propositions : Ils participent aux réunions cliniques, contribuent aux projets territoriaux de santé mentale, parfois même à la recherche-action (source : Psycom, 2023).

Comment s’organise l’intégration concrète au sein des établissements ?

Des recrutements variés et des postes en transition

On observe différents modes d’intégration, reflet de la diversité des établissements :

  • Contrats et statuts : Beaucoup de pairs-aidants sont embauchés en CDD sur des missions de médiation, d’accompagnement en équipe mobile ou en accueil de jour. Rares sont les CDI, même si certains établissements commencent à pérenniser les postes.
  • Fonctions multiples : Animation d’ateliers, accompagnement individuel, coanimation de groupes de parole, participation aux réunions de service, relais entre l’hôpital et les dispositifs communautaires (GEM, associations…).
  • Intervention en intra et extra-hospitalier : Certains pairs sont à l’hôpital, d’autres en CMP ou en insertion, d’autres naviguent entre plusieurs lieux.

La formation, clé d’un exercice réussi

La question de la formation est désormais centrale : elle doit garantir à la fois protection des pairs-aidants, place professionnelle et qualité de l'accompagnement. Plusieurs diplômes universitaires ont émergé à Paris 8, Lyon, Grenoble, Lille… Les formations intègrent souvent :

  • Connaissance du système de soins
  • Mise à distance de l’expérience personnelle
  • Techniques d’entretien et de médiation
  • Questions éthiques et supervision

Selon une étude du CNAM (2021), près de 75 % des pairs-aidants en établissements psychiatriques interrogés souhaitent un meilleur accompagnement dans leur intégration par des formations continues et de la supervision.

Les effets mesurés de la pair-aidance en psychiatrie

Aujourd’hui, l’impact de la pair-aidance est de mieux en mieux documenté. Plusieurs études françaises et internationales recensent des bénéfices significatifs, à la fois pour les usagers, les familles et les équipes.

  • Diminution de l’isolement et du repli : Selon un rapport de l’OMS-Europe (2022), l’intégration de pairs-aidants dans les hôpitaux psychiatriques réduit de 18 % le taux d’abandon de soins après une hospitalisation.
  • Renforcement de l’alliance thérapeutique : Les patients se sentent globalement plus entendus et plus impliqués dans leur projet de soins. À Marseille, l’AP-HM rapporte une nette augmentation de la satisfaction des usagers dans les unités ayant intégré un pair-aidant (source : Revue Santé Publique, 2020).
  • Baisse des rechutes : Des études canadiennes et britanniques (J. Repper, 2013) montrent que la participation à des dispositifs animés par des pairs corrèle à une réduction de 10 à 15 % des nouvelles hospitalisations dans l’année suivant la sortie.
  • Réduction du sentiment de stigmatisation : Les échanges avec les pairs-aidants favorisent la reprise de confiance et la diminution de l’auto-stigmatisation, facteur reconnu d’exclusion sociale (source : HAS, 2021).

Des obstacles persistants, des défis à relever

Malgré l’essor de la pair-aidance, l’intégration demeure semée d’embûches. Plusieurs logiques traversent encore les établissements :

  • Représentations résistantes : Certains professionnels maintiennent une vision hiérarchisée de la compétence, parfois hermétique au savoir expérientiel.
  • Isolement des pairs : Faute de coordination interne et d’espaces de supervision, nombre de pairs-aidants se sentent parfois marginalisés dans les équipes (étude CREHPSY Hauts-de-France, 2021).
  • Précarité des statuts : Les salaires varient entre smic et 1500€ nets/mois en moyenne, sans garantie de progression (source : enquête UNAFAM, 2023).
  • Clarté des missions : La définition du “cœur de métier” des pairs bleibt mouvante, selon les projets d’établissement et les attentes des équipes.

Une dynamique à amplifier : pistes et perspectives

Les dernières recommandations de la Haute Autorité de Santé encouragent la généralisation de la pair-aidance au sein de la psychiatrie, dans une logique de coopération et de réciprocité. Développer une véritable culture de l’implication des usagers suppose :

  • De multiplifier les projets pilotes puis de passer à une échelle régionale, en impliquant d’emblée les pairs dans les réflexions d’équipe et de gouvernance.
  • D’assurer un accompagnement solide, depuis le recrutement jusqu’à la formation continue et la supervision, pour éviter l’épuisement et les malentendus.
  • De reconnaître la pair-aidance comme un métier à part entière, avec des perspectives d’évolution, de formation, et d’inscription pleine au sein des équipes.
  • D’encourager la recherche participative, afin de mieux évaluer les effets des pratiques et d’appuyer leur diffusion par des données probantes (voir étude EMILIA, Commission Européenne, 2010).

Pour aller plus loin – ressources et inspirations

Pour celles et ceux qui souhaitent approfondir, voici quelques pistes :

  • Psycom : portail de référence sur la pair-aidance, guides pratiques, témoignages et ressources nationales (psycom.org)
  • Haute Autorité de Santé : recommandation "L’implication des usagers dans leur santé" (2022)
  • CReHPsy Auvergne Rhône-Alpes : accompagnement et formations pour pairs, études régionales
  • Rapport de la Fédération Addiction (2023) : Évaluation de dispositifs impliquant des pairs-aidants en psychiatrie
  • Étude "Peer Support in Mental Health Services" – Repper & Carter, Social Psychiatry & Psychiatric Epidemiology, 2011.

Nourrie par l’engagement, la pair-aidance trace aujourd’hui, avec ses pionniers et ses partenaires, une voie prometteuse pour la psychiatrie de demain : plus humaine, plus ancrée dans la vie réelle, et résolument tournée vers le pouvoir d’agir.

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