Établissements psychiatriques : la transformation de l’accompagnement

Les établissements de santé spécialisés en psychiatrie ont longtemps été des lieux fermés à l’innovation portée par les pairs. Toutefois, depuis 2012 et l’émergence officielle de la fonction de “médiateur de santé-pair” dans le projet expérimental mené par l’UNAFAM, le CCOMS, et l’ADESM (“médiateur de santé-pair” – rapport CCOMS 2013), de plus en plus de centres hospitaliers psychiatriques recrutent des pair-aidants.

  • Intégration dans les équipes pluridisciplinaires : Les pair-aidants sont présents lors des réunions, participent à la co-construction des projets de soin, appuient la compréhension des effets secondaires des traitements, aident à la gestion des crises et favorisent une relation horizontale avec les usagers.
  • Ouverture des unités fermées : Leur rôle n’est pas cantonné aux services ouverts. Certains hôpitaux comme Vinatier (Lyon) ou Sainte-Anne (Paris) emploient des pair-aidants jusque dans les unités où l’accès est habituellement restreint.

Cette évolution reste progressive. Selon les données de la Fédération des acteurs de la psychiatrie (2022), environ 170 équipes hospitalières incluaient un ou des pair-aidants, mais la couverture reste insuffisante face aux besoins, surtout en zones rurales ou périurbaines.

Centres médico-psychologiques : porter la pair-aidance au cœur du secteur

Les CMP occupent une place stratégique dans le dispositif de soin, avec plus de 1500 centres répartis sur le territoire (Atlas de la santé mentale, DREES 2022). Historiquement centrés sur la consultation médicale, ils accueillent désormais des groupes de parole, ateliers et dispositifs collectifs auxquels la pair-aidance donne une dimension nouvelle.

  • Groupes d’échange entre pairs : Des ateliers, portés par des pair-aidants salariés ou bénévoles, renforcent la parole de l’expérience. Par exemple, dans l’agglomération grenobloise, un CMP a mis en place un “atelier d’entraide active” hebdomadaire co-animé par une pair-aidante et un infirmier.
  • Soutien à l’autonomie de la personne : En sortie d’hospitalisation, le lien avec un pair-aidant à travers le CMP permet d’éviter les ruptures de suivi et de mieux préparer le retour à la vie quotidienne.

Le souffle associatif : espaces pionniers et innovants

Le milieu associatif, qu’il s’agisse de clubs thérapeutiques, d’associations d’usagers (comme Advocacy France, Santé Mentale France, Argos 2001) ou de groupes autogérés, reste un terrain historique de la pair-aidance. Leur approche diffère sur trois points fondamentaux :

  • Auto-organisation : Les pairs œuvrent comme facilitateurs de groupes, accompagnateurs de séjours, organisateurs d’ateliers (habiletés sociales, ateliers cuisine, etc.). La gouvernance y est souvent horizontale.
  • Empowerment collectif : Les associations sont force de proposition pour les institutions de santé mentale, et certaines collaborent avec les ARS. À titre d’exemple, le “Collectif Schizophrénies” développe des binômes pair/professionnel dans la majorité de ses ateliers.
  • Souplesse et accessibilité : La pair-aidance associative touche parfois un public non ou peu suivi par le secteur hospitalier, limitant l’exclusion.

La pair-aidance associative bénéficie toutefois de financements précaires et de statuts de pair-aidant très variables, ce qui limite la pérennité des dispositifs.

Milieu hospitalier général : vers une collaboration interdisciplinaire

Longtemps cantonné à la psychiatrie, le modèle de pair-aidance émerge aussi dans les hôpitaux généraux via les “médiateurs santé-pairs” dans les unités de psychiatrie de liaison, ou auprès de patients suivis pour des comorbidités (par exemple, troubles psychiques et diabète).

  • Appui sur des parcours complexes : Les hôpitaux de Paris (AP-HP) ont recruté plusieurs pairs dans les unités de liaison adultes, avec des retours très positifs sur la diminution des ré-hospitalisations évitables (source : AP-HP, rapport 2021).
  • Éducation thérapeutique : La pair-aidance est intégrée au sein des programmes d’éducation thérapeutique (programme “Troubles bipolaires et rétablissement” CHU Grenoble).

Accompagnement à domicile et équipes mobiles : la proximité réinventée

Environ 7% des patients suivis en psychiatrie bénéficient chaque année d’un accompagnement à domicile (DREES 2021), mais peu d’entre eux rencontrent des pairs-aidants. Pourtant, leur rôle dans ce cadre tend à se renforcer, notamment via :

  • Équipes mobiles psychiatrie/précarité : Certains dispositifs intègrent des pairs pour maintenir le lien avec des personnes isolées ou sans domicile (exemple : EMMAÜS Solidarité – Paris).
  • Soutien au “vivre chez soi” : La présence de pairs formés améliore la gestion des crises à domicile et lutte contre les réadmissions.

La pair-aidance à domicile se confronte toutefois à des contraintes logistiques et légales, particulièrement en ce qui concerne la coordination avec les professionnels paramédicaux.

EHPAD : un levier de déstigmatisation chez les seniors

Les établissements accueillant des personnes âgées (EHPAD) voient augmenter le nombre de résidents souffrant de troubles psychiques. Dès 2018, l’ARS Nouvelle Aquitaine lançait un appel à projet “pair-aidance en EHPAD” pour expérimenter le dispositif auprès de personnes âgées bipolaires ou dépressives.

  • Co-animation d’ateliers mémoire et de groupes d’échange, visant à lever la stigmatisation du trouble psychique au grand âge.
  • Soutien aux équipes : Les pairs eux-mêmes seniors apportent une proximité d’expérience inédite.

Cependant, la culture institutionnelle et la question du recrutement de pairs formés restent de vrais défis.

Milieu scolaire et universitaire : prévenir et accompagner autrement

La demande d’accompagnement psychique explose chez les jeunes (augmentation de 60% des situations suivies par les services universitaires de santé entre 2018 et 2022 selon la CPU). La pair-aidance s’y structure lentement :

  • Pair-aidants étudiants : Plusieurs universités pilotes (Bordeaux, Lyon, Montpellier) forment désormais des étudiants pairs en tant que relais d’écoute, notamment dans les réseaux “Nightline” ou les BAPU.
  • Ateliers scolaires animés par des pairs : Quelques académies testent des interventions “d’ambassadeurs pairs” pour prévenir la déscolarisation et le repli.

On observe encore des freins, notamment la reconnaissance du statut de pair et l’articulation avec les services sociaux ou infirmiers scolaires.

Psychiatrie de secteur : compatibilité, articulation et dynamiques de terrain

En France, la psychiatrie de secteur repose principalement sur la continuité et la proximité du soin. Si les équipes sont parfois réticentes à l’arrivée de nouveaux professionnels, certains secteurs ouvrent la voie :

  • Participation aux synthèses de secteur : Les pairs peuvent être invités aux réunions de synthèse quand le patient le souhaite.
  • Co-construction de projets territoriaux : Dans des dispositifs innovants, comme à Marseille ou Lille, des pairs participent à la gouvernance locale.

Le principal défi reste la clarification du rôle, pour éviter toute confusion avec celui des intervenants sociaux ou des soignants.

Insertion professionnelle : l’expertise des pairs au service du travail

3 à 5% des personnes reconnues en situation de handicap psychique accèdent à un emploi accompagné chaque année (source : Cap Emploi, 2023). La pair-aidance y prend sa place sous diverses formes :

  • Accompagnement par des pairs en ESAT, EA, ou Ateliers Chantiers d’Insertion : Certains établissements intègrent des pairs salariés pour soutenir l’inclusion de nouveaux travailleurs.
  • Mentorat et parrainage professionnel : Initiatives où des pairs ayant connu des périodes de désinsertion accompagnent d’autres personnes dans leur retour à l’emploi ouvert ou adapté.
  • Appui à la négociation “RQTH” : Les pairs participent à la sécurisation des démarches administratives liées au maintien dans l’emploi.

Le croisement entre pair-aidance et monde du travail reste un secteur porteur d’expérimentation, qui touche aussi l’accompagnement des étudiants en alternance.

Vers une pair-aidance sur-mesure et ancrée dans la réalité locale

La diversité des cadres évoqués montre que la pair-aidance n’a rien d’un “gadget” réservé à certains établissements. Elle s’installe aussi bien dans les institutions sanitaires historiques que dans les nouveaux espaces qui émergent autour de la vie quotidienne, des loisirs, du travail ou du grand âge.

Son déploiement appelle des évolutions : reconnaissance statutaire, formation, soutien financier, évaluation de l’impact (voir l’étude INSERM 2023 sur “L’évaluation des dispositifs pairs en santé mentale”). Il implique une capacité d’adaptation aux ressources locales, aux attentes des personnes concernées, et à la culture de chaque structure.

La pair-aidance sera demain d’autant plus efficace qu’elle saura irriguer l’ensemble du tissu social, dans une logique de coopération, de droits, et de respect de la singularité des parcours — sans jamais se substituer à la voix des premiers concernés.

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