Qu’entend-on par pair-aidance et quels en sont les fondements ?

La pair-aidance consiste à mobiliser le savoir issu de l'expérience vécue par des personnes ayant traversé des troubles psychiques pour accompagner d’autres usagers du soin. Ce modèle s’appuie sur la reconnaissance de la légitimité du vécu, l’empathie particulière qui en découle, et la possibilité d’incarner un espoir de rétablissement concret. En France, son développement institutionnel est encore récent, bien que la loi de modernisation du système de santé (2016) et plusieurs recommandations de la Haute Autorité de Santé en aient posé les bases (source : HAS).

La pair-aidance ne se limite pas à une fonction de soutien informel : de nombreux établissements emploient désormais des pair-aidants professionnels, formés et intégrés à l’équipe soignante. Leur rôle va de la facilitation de groupes de parole au travail en hospitalisation, jusqu'à la médiation avec les familles.

État des lieux : où la pair-aidance s’ancre-t-elle aujourd’hui ?

La démarche est déployée principalement dans certains secteurs :

  • Centres hospitaliers spécialisés en psychiatrie : de plus en plus d’unités inscrivent des pair-aidants dans leur équipe pluriprofessionnelle.
  • Associations d’usagers : nombre d’associations nationales et locales (ex : Advocacy, Santé Mentale France) multiplient les projets autour de la pair-aidance, avec parfois des résultats très concrets sur la réduction de l’isolement.
  • Services médico-sociaux : dispositifs d’accompagnement au logement (SAVS, SAMSAH) ou d’insertion (ESAT) s’ouvrent à la compétence du vécu.
  • Centres de réhabilitation psychosociale : ces centres axés sur le rétablissement s’appuient souvent sur la légitimité du « pair » pour renforcer l’engagement des usagers.

D’après le rapport du Psycom 2022, le nombre de postes de pair-aidants salariés en France reste toutefois très minoritaire : environ 250 personnes référencées, souvent sur des emplois précaires et à temps partiel, alors que leur potentiel est estimé à plusieurs milliers de postes à long terme.

Leviers et bénéfices observés dans l’intégration de la pair-aidance

L’apport concrètement constaté de la pair-aidance se manifeste sur plusieurs plans :

  • Effet sur l’alliance thérapeutique : les usagers déclarent plus facilement percevoir une atmosphère « moins hiérarchique », propice à la confiance (étude Inserm 2021).
  • Amélioration du climat d’un service : la présence de pairs à l’hôpital contribue à faire évoluer les regards, notamment sur les préjugés touchant les diagnostics complexes ou les histoires de rechute.
  • Parcours de rétablissement : de nombreux témoignages attestent que le partage d’expérience favorise la persévérance, la reprise d’espoir, et la réappropriation des choix de vie.

Les retours d’autres pays (Canada, Royaume-Uni) attestent d’un impact net en termes de réduction de la durée des hospitalisations et d’amélioration de l’accès aux soins de premier recours (source : Mental Health Foundation UK, 2020).

Un modèle universel ? Des freins liés aux structures et à leur culture

Si les bénéfices sont indéniables, la question de l’universalité du modèle se pose dès lors que l’on considère la pluralité des structures. Tous les établissements ne se prêtent pas facilement à la pair-aidance, et plusieurs freins majeurs doivent être examinés.

Culture institutionnelle et résistances internes

  • Position hiérarchique du pair-aidant : Dans les structures où la hiérarchie médicale est particulièrement forte ou peu ouverte à la participation, la reconnaissance du rôle du pair-aidant peut se heurter à des difficultés de légitimité.
  • Place du « savoir expérientiel » : Certains services privilégient encore exclusivement le savoir académique ou biomédical, ce qui restreint la place laissée à d’autres formes de compréhension de la souffrance psychique (étude Revue Française des Affaires Sociales, 2023).

Type de publics accueillis et contextes spécifiques

  • Structures « aigus »/urgence : Les services d’urgence ou d’aigus, confrontés à des situations critiques et rapides, peuvent estimer difficile l’intégration de la pair-aidance dans leur fonctionnement.
  • Services d’addictologie ou d’intrication précaire/addiction : Malgré des expériences menées (notamment via l’association AIDES pour la pair-aidance en réduction des risques), l’articulation avec le soin demeure complexe dès lors que le fil conducteur entre expérience de rétablissement et accompagnement médical diverge.
  • Petites structures médico-sociales : Certaines manquent tout simplement des ressources logistiques, d’encadrement ou de financement pour permettre un poste supplémentaire.

Contraintes réglementaires et statutaires

L’absence d’un cadre statutaire clair pour les pair-aidants complexifie leur intégration. En France, il n’existe ni diplôme d’État ni grille indiciaire reconnue de façon universelle, ce qui rend la position parfois instable et dépend largement de la bonne volonté locale. D’après le rapport IGAS 2023, moins d’un quart des établissements tentés par l’expérimentation sont parvenus à inscrire en CDI un ou plusieurs pair-aidants dès 2021-22.

Des initiatives réussies en milieux divers : quelques exemples marquants

Des expériences inspirantes montrent cependant que la pair-aidance peut s’intégrer dans des contextes très différents, à condition d’une adaptation réfléchie.

  • Pair-aidance en psychiatrie générale : Les hôpitaux de Sainte-Anne et Le Vinatier à Lyon emploient désormais des pairs-aidants en hospitalisation, mais aussi en ambulatoire et en accueil familles, avec participation régulière aux réunions cliniques et création d’ateliers.
  • Dispositifs en addictologie : L’association AIDES, pionnière dans la pair-aidance autour de la réduction des risques, a ouvert la voie à ce modèle en dehors de la psychiatrie stricte. Les bénéficiaires interrogés valorisent la dimension "pragmatisme-partage" qui permet une adhésion plus souple aux dispositifs classiques.
  • Établissements pour jeunes publics : L’expérimentation du dispositif « Pair-aidance étudiante » à l’Université de Bordeaux en 2023 a permis à plus de 200 étudiants de bénéficier d’un accompagnement individualisé, avec une baisse de 15 % des états d’isolement signalés après 6 mois (source : Observatoire Vie Étudiante).
  • Accompagnement en intersectoriel : Des initiatives associant pair-aidants, auxiliaires de vie scolaire et travailleurs sociaux ont vu le jour dans plusieurs départements, avec de premiers retours intéressants sur l’augmentation du recours aux soins de ville et amélioration du suivi post-hospitalisation.

Pré-requis et leviers clés pour une intégration réussie

Une intégration harmonieuse dans toute structure suppose le respect de quelques fondamentaux :

  1. Un portage institutionnel affirmé : La direction, le service RH et l’encadrement doivent soutenir activement la démarche, en l’inscrivant dans le projet d’établissement.
  2. Une formation spécifique : Au-delà du vécu personnel, des modules de formation diplômante (ex : DU Pair-aidance à l’Université Lyon 2) et de supervision sont nécessaires pour garantir le professionnalisme et la sécurité des interventions.
  3. L’encadrement et la supervision régulière : Un espace de parole sécurisé, animé par un pair référent ou un psychologue superviseur, limite l’isolement professionnel et les risques d’épuisement.
  4. Clarification des rôles : Les missions, responsabilités et droits du pair-aidant doivent être précisément définis et communiqués à l’équipe entière. La confusion des genres est un risque fréquemment décrit dans les premières expérimentations (source : revue Sciences Sociales et Santé, 2022).
  5. Évaluation et adaptation continue : Les dispositifs gagnent à inclure un volet évaluation, permettant d’ajuster l’intervention aux besoins spécifiques des usagers et de la structure.

Les perspectives : vers une reconnaissance officielle et une généralisation possible ?

Plusieurs dynamiques récentes laissent présager une montée en puissance de la pair-aidance, au-delà des seuls établissements spécialisés. La Délégation Ministérielle à la Santé Mentale et à la Psychiatrie a réaffirmé ce cap dans son plan 2023-2028, visant « un minimum de 1000 postes de pair-aidants sur le territoire national d’ici 2028 » (source : Ministère de la Santé).

La reconnaissance de cette fonction passe aussi par la création d’un référentiel métier en cours d’élaboration et l’ouverture progressive de formations diplômantes dans plusieurs universités.

Toutefois, la grande hétérogénéité des structures de soins en France – de la grande clinique privée à la petite association rurale – invite à penser la pair-aidance comme un modèle adaptable et non imposé de façon uniforme. L’écoute du terrain et la co-construction avec les personnes concernées restent les clefs pour inscrire cette pratique dans la durée, et permettre à chaque structure de bénéficier de son potentiel transformateur.

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