La pair-aidance : une ressource née de l’expérience

La pair-aidance s’appuie sur le principe qu’une expérience vécue, confrontée à celle d’autrui, peut ouvrir de nouveaux chemins vers le rétablissement. Elle implique qu’un individu ayant traversé un trouble psychique (ou une réalité similaire) apporte aide et soutien à une autre personne traversant une situation comparable. En France, ce mouvement s’est accéléré dans les années 2010, avec la professionnalisation progressive du rôle de pair-aidant (notamment via le Certificat de Pair-aidance en Santé Mentale - CNAM).

Aujourd’hui, plus de 350 pairs-aidants travaillent dans des établissements sanitaires et médico-sociaux (source : Réseau français sur l’entraide et la pair-aidance 2023), un chiffre encore modeste mais en croissance constante. La reconnaissance du savoir expérientiel s’institutionnalise et alimente une dynamique de transformation des pratiques, faisant écho aux recommandations de l’OMS et du rapport Laforcade (2016).

À qui s’adresse la pair-aidance ?

Les personnes concernées : un public large et diversifié

Contrairement à une idée reçue, la pair-aidance ne se limite pas aux seules personnes souffrant d’un trouble psy sévère ou chronique. Elle s’adresse à un vaste public :

  • Personnes vivant avec des troubles psychiques (schizophrénie, trouble bipolaire, dépression, etc.), quel que soit le diagnostic ou le niveau de sévérité.
  • Usagers en situation de vulnérabilité psychique, y compris les personnes en situation d’addiction, de handicap psychique, ou d’isolement social.
  • Personnes en situation de transition (sortie d’hospitalisation, reprise d’un emploi, changement de lieu de vie…), moments souvent charnières où la pair-aidance montre sa force pour réduire la rupture et l’angoisse.
  • Proches aidants et familles, de plus en plus intégrés dans certains dispositifs de pair-aidance. Leur implication redéfinit aussi le sens de l’accompagnement et ouvre la possibilité de « pairs-aidants familiaux ».

Les pairs-aidants sont eux-mêmes issus de cette diversité d’expériences. Leur point commun ? Un parcours marqué, non par l’idéal d’un « rétablissement parfait », mais par l’engagement dans un cheminement actif, réflexif, qui donne du sens à leur vécu et leur permet d’accompagner autrui.

Des publics encore sous-représentés

Certains groupes bénéficient encore peu de la pair-aidance :

  • Mineurs et jeunes adultes : malgré des besoins forts (l’OMS rapporte qu’un trouble mental sur deux apparaît avant 14 ans), peu de programmes spécifiques existent.
  • Personnes âgées : le soutien par les pairs en gérontopsychiatrie demeure rare.
  • Personnes issues de la migration : la barrière interculturelle, mais aussi le regard stigmatisant, freinent le déploiement de dispositifs réellement accessibles.

De nouveaux projets (par exemple, l’expérimentation des « Bridgers » au Canada ou les initiatives d’associations comme Advocacy France) essaient de répondre à ces manques en diversifiant le recrutement et la formation des pairs.

Quels contextes pour la pair-aidance ?

1. Les établissements de santé et médico-sociaux

C’est le terrain du développement historique de la pair-aidance en France. Hôpitaux psychiatriques, Centres Médico-Psychologiques (CMP), structures d’accueil de jour, foyers de vie, Établissements et Services d’Aide par le Travail (ESAT)… accueillent désormais des pairs-aidants, parfois intégrés aux équipes, parfois en parallèle. Ils interviennent dans plusieurs champs :

  • Accompagnement individuel : soutien lors des entretiens médicaux, appui à la préparation de projets de vie, identification des ressources existantes.
  • Animation de groupes de parole ou d’ateliers d’éducation thérapeutique : partage d’expérience et soutien collectif.
  • Participation à la formation des professionnels ou à l’élaboration des projets d’établissement.

Selon le rapport Laforcade (2016), la présence de pairs-aidants améliore notamment l’alliance thérapeutique, diminue les rechutes et favorise le retour à domicile.

2. L’accompagnement dans la cité : pair-aidance associative et informelle

Hors établissements, la pair-aidance associative occupe une place majeure. Des associations comme Santé Mentale France, ARGOS 2001, GEM (Groupes d’Entraide Mutuelle), catalysent l’entraide hors du strict secteur médical. Ces lieux incarnent la volonté de « déprofessionnaliser » une partie de la relation d’aide, en lui rendant un cadre horizontal, parfois autogéré.

  • Soutien moral au quotidien : présence bienveillante, espaces d’écoute, aide aux démarches administratives ou sociales.
  • Soutien à l’engagement citoyen : accompagnement dans les projets socio-professionnels ou associatifs, participation à la lutte contre la stigmatisation.

Près de 600 GEM sont recensés en France (source : CNSA, 2023), regroupant plus de 25 000 adhérents. Leur existence montre que la pair-aidance informelle remplit un besoin non couvert par les dispositifs institutionnels.

3. Pair-aidance en milieu scolaire et universitaire

Si la thématique demeure encore trop peu explorée, quelques expérimentations voient le jour pour soutenir la santé mentale des jeunes. Des associations étudiantes et quelques universités (comme l’Université Lyon 1 ou l’Université de Lille) initient des programmes où des étudiants passés par la dépression ou le burnout accompagnent leurs pairs, via groupes de parole, mentoring et dispositifs de veille.

  • Création de réseaux d’écoute sur les campus ;
  • Formation à la prévention de la détresse psychique ;
  • Ponts vers les structures d’aide plus spécialisées.

Selon l’enquête Santé mentale & Vie étudiante 2022 (MENESR), plus d’un étudiant sur cinq se dit en détresse psychique, et 40% déclarent ne pas identifier clairement où trouver du soutien psychologique. La pair-aidance pourrait jouer ici le rôle de passerelle, précoce et accessible.

4. Pair-aidance au travail et dans l’insertion

L’accompagnement par les pairs entre petit à petit dans le monde du travail : entreprises adaptées, associations de retour à l’emploi, mais aussi collectifs d’usagers (CRESS Auvergne-Rhône-Alpes, Clubhouse France…). Le pair-aidant facilite le lien entre employé et employeur, lutte contre la désinsertion professionnelle, témoigne que le parcours de rétablissement est compatible avec la vie active.

  • Appui à la prise de poste ;
  • Gestion du retour après un arrêt maladie ;
  • Prévention du burn-out et sensibilisation aux risques psychosociaux.

Un rapport de l’UNAFAM (2022) souligne que 25% des personnes concernées par un handicap psychique ont perdu leur emploi faute de soutien adapté après un épisode de trouble.

Pair-aidance : quels bénéfices pour quels publics ?

Si les effets décrits sont largement positifs, ils varient selon les contextes et les profils accompagnés :

  • Amélioration du bien-être subjectif (autonomie, confiance, sentiment d’utilité) chez 60% des bénéficiaires (Revue internationale des pratiques psychosociales, 2022).
  • Baisse des hospitalisations de 10 à 25% selon les études (source : Inserm, 2019), pour les personnes accompagnées par un pair-aidant en psychiatrie adulte.
  • Réduction du sentiment de solitude, facteur clé reconnu par la Haute Autorité de Santé comme levier de prévention du suicide et de la désinsertion.

Mais les bénéfices dépassent les chiffres : la reconnaissance d’une parole d’égal à égal, la rupture avec la honte et la stigmatisation, la possibilité de reprendre la main sur son parcours, sont autant de transformations souvent rapportées par les personnes concernées et leurs proches.

Quels freins et limites ?

La pair-aidance reste entravée par plusieurs obstacles :

  • Statut encore précaire du pair-aidant : absence de reconnaissance dans la plupart des conventions collectives, dispositifs de formation disparates, risque d’exploitation émotionnelle.
  • Inégalités d’accès : selon la zone géographique, le niveau de littératie en santé, le niveau de précarité sociale…
  • Réticence de certains professionnels : crainte de brouillage des rôles, défiance vis-à-vis d’un savoir non « certificatif ».
  • Difficulté d’évaluation : la mesure des effets spécifiques de la pair-aidance reste complexe, faute d’outils validés et de recul sur la diversité des modalités d’intervention.

Ces freins expliquent que la France, bien qu’en avance sur certains aspects (notamment la structuration des GEM ou la récente feuille de route « Santé mentale et psychiatrie »), reste en retrait par rapport à d’autres pays comme l’Angleterre ou le Canada où la pair-aidance est mieux intégrée dans les parcours de soins.

Des perspectives d’ouverture et d’innovation

Dans une société où la santé mentale devient une préoccupation partagée, la question n’est plus tant « à qui s’adresse la pair-aidance ? », mais « comment permettre à chacun d’en bénéficier, quand il en a besoin ? » Qu’il s’agisse de soutenir la reconstruction après un épisode sévère, d’accompagner la quête d’autonomie, de retisser du lien ou de combattre la stigmatisation, la pair-aidance s’inscrit dans une mosaïque de réponses, toujours en mouvement, et écrit une nouvelle page de l’accompagnement en santé mentale.

Sources : OMS 2019 ; Rapport Laforcade 2016 ; CNSA ; Inserm 2019 ; UNAFAM 2022 ; Réseau français sur la pair-aidance ; Revue internationale des pratiques psychosociales 2022.