Qu’entend-on par « pair-aidance » ?

La pair-aidance, c’est lorsque des personnes ayant vécu des troubles psychiques proposent soutien, entraide et accompagnement à d’autres qui traversent des situations similaires. Ce partage de vécu, déjà reconnu en milieux hospitalier et médico-social, est de plus en plus sollicité hors de l’institution, notamment dans les associations qui œuvrent autour de la santé mentale. Cette mutation interroge : la pair-aidance a-t-elle sa place dans une structure associative ? Jusqu’où peut-elle s’exercer et se structurer en marge du soin classique ?

La force des associations dans le paysage de la santé mentale

En France, les associations occupent un rôle historique dans l’accompagnement des personnes concernées par la santé mentale. Certaines, nées dès les années 1970, sont aujourd’hui bien implantées, comme l’UNAFAM ou Advocacy France. Elles ont progressivement permis l’expression des usagers, le développement de groupes de parole et l’accès à des lieux d’accueil hors du soin, souvent sur le principe du bénévolat ou du « faire avec ». De plus, les associations créées par et pour les personnes concernées, à l’image du Réseau Français sur l'Entente de Voix, montrent la maturité d’un tissu associatif sensible à la notion de savoirs expérientiels.

  • Environ 24 000 associations en France œuvrent dans le champ du handicap, avec une place croissante de la santé mentale (source : Recherches & Solidarités 2021).
  • Près de 20 % des structures locales en santé mentale sont aujourd’hui gérées par ou avec des personnes concernées (OMS, Rapport européen sur la santé mentale, 2021).

Pourquoi la pair-aidance attire tant le secteur associatif ?

Pour beaucoup, les associations représentent un espace à la fois protecteur et novateur, loin des hiérarchies médicales. Pour la pair-aidance, elles offrent des avantages distincts :

  • Sécurité psychologique : Les associations permettent d’échanger sans jugement, avec un rapport d’égalité, parfois difficile à établir en institution.
  • Flexibilité : L’aide peut y être multiforme : groupes d’entraide, ateliers, activités collectives, rencontres ponctuelles ou régulières, à l’image des GEMs (Groupes d’Entraide Mutuelle).
  • Empowerment : L’association laisse la main aux personnes concernées, qui co-construisent les projets, élaborent les activités et les régulations internes.

La pair-aidance y trouve donc sa place comme réponse alternative, complémentaire au professionnel, avec la conviction que « l’expertise du vécu » est à valoriser autant que les approches traditionnelles.

Quels obstacles concrets à la formalisation de la pair-aidance associative ?

Cependant, le passage du « faire ensemble » informel à la pair-aidance explicitement structurée pose question. Plusieurs freins se font sentir :

  1. Le flou du statut : Dans beaucoup d’associations, la nature exacte du rôle du pair-aidant reste à définir. Doit-il être salarié ? Bénévole ? Médiateur ? Parfois, l’absence de cadre pérennise une ambiguïté quant aux responsabilités ou à la formation.
  2. La reconnaissance institutionnelle : Pour aller vers la professionnalisation, la pair-aidance doit être reconnue, tant sur le plan symbolique (statut, charte, certificat) que matériel (reconnaissance des compétences, rémunération possible).
  3. L’articulation avec les autres intervenants : Associations et structures partenaires doivent clarifier les limites : quand le témoignage du pair ne suffit plus ? Comment co-réguler les situations complexes ? Sans réponse claire, le risque est de « sur-responsabiliser » le pair-aidant.
  4. Les questions éthiques : Confidentialité, posture, rapport au pouvoir, équilibre entre entraide et accompagnement professionnel : ces repères doivent être réfléchis collectivement pour éviter des dérives ou des situations de souffrance secondaire.

C’est l’ensemble de ces enjeux qui fait l’objet de débat au sein même des collectifs associatifs, comme le démontrent les Assises de la santé mentale organisées par plusieurs associations en septembre 2021.

Des exemples concrets de pair-aidance associative en France

Plusieurs expériences françaises montrent que la pair-aidance associative est possible et déjà active, même si leur visibilité reste à renforcer :

  • Les GEMs (Groupes d’Entraide Mutuelle) : Nés après la loi de 2005 sur le handicap, ils accueillent chaque année environ 40 000 adhérents, majoritairement des personnes concernées par des troubles psychiques. La dynamique est clairement celle de la pair-aidance : l’entraide y structure la vie collective. Les pairs y co-animent des ateliers, participent à la gouvernance et à la régulation interne (Egalité Handicap - GEM).
  • Les groupes d’entraide chez Advocacy France : Cette association donne la voix aux personnes usagères sur la défense de leurs droits et s’appuie sur des dynamiques d’entraide inspirées de la pair-aidance, avec des « médiateurs pairs » formés.
  • Les cafés discussions du Réseau français sur l’Entente de Voix : Ces espaces, ni thérapeutiques ni soignants, illustrent la force d’un dispositif associatif ancré dans les savoirs du vécu.

On remarque que dans tous ces dispositifs, la participation des pairs n’est jamais uniquement « symbolique » : la vie associative, le fonctionnement des groupes et même la représentation externe reposent en partie sur ces expertises issues du vécu.

Quels atouts spécifiques pour la pair-aidance en milieu associatif ?

La pair-aidance associative, notamment hors du cadre médical, présente plusieurs atouts forts :

  • Une approche holistique : Loin du modèle “soin/soigné”, les associations investissent la globalité de la personne : vie sociale, conflits quotidiens, loisirs, maison, etc. Cet élargissement est reconnu comme protecteur face à l’isolement (La Dépêche, juin 2020).
  • L’espace d’engagement : Être pair-aidant en association, c’est aussi s’impliquer dans la démocratie interne, organiser des événements, défendre les droits, mener des actions de sensibilisation — ce qui contribue à la reprise de pouvoir par les personnes concernées.

Deux valeurs fondatrices

  • La réciprocité : Chacun peut être tour à tour aidant ou aidé, abolissant les frontières figées « usager/professionnel ». Beaucoup de pairs disent y trouver un sentiment d’utilité et un regain d’estime de soi, que la littérature internationale confirme (voir Nemec et al., 2018, National Library of Medicine).
  • L’auto-organisation : Le collectif prime sur l’individuel. Cela encourage l’émergence de nouvelles compétences, favorise la créativité et l’adaptation aux besoins locaux.

Défis actuels et recommandations pour renforcer la pair-aidance associative

Pour avancer vers une pair-aidance forte en association, quelques leviers se dessinent :

  • Mieux former les pairs-aidants : Cela peut passer par des modules courts, des ateliers de co-développement ou des temps d’analyse de pratique, même informels. La formation reste l’un des facteurs les plus difficiles à financer pour les associations. Pourtant, l’expérience canadienne montre, par exemple au Québec, qu’un accompagnement structurant peut favoriser la pérennité des initiatives (CCOMSS, 2019).
  • Travailler l’interconnaissance avec les professionnels : L’enjeu n’est pas de remplacer le soin mais de dialoguer avec lui, par des partenariats, des séminaires croisés ou des conventions souples.
  • Oser reconnaître l’expertise du vécu : Les associations peuvent porter une charte interne valorisant la complémentarité des savoirs, créant ainsi un climat propice à la sécurité et au respect de la parole des pairs.
  • Favoriser la mixité des financements : Renforcer la pair-aidance, c’est aussi créer des projets pérennes. La mixité (subventions publiques, dons, financements participatifs) préserve l’indépendance et apaise la précarité.

Regards croisés et perspectives d’évolution

L’essor de la pair-aidance associative invite à repenser les frontières entre soin, entraide et engagement citoyen. Les retours d’expérience à l’international, comme en Belgique ou au Canada, montrent que cette voie hybride n’est pas sans défis, mais qu’elle contribue à lutter contre la stigmatisation et l’isolement — tout en offrant aux personnes concernées de nouveaux rôles sociaux. En 2023, une enquête européenne pilotée par Mental Health Europe souligne que la pair-aidance associative est désormais reconnue comme « levier majeur d’empowerment, de prévention et d’inclusion » (source : Mental Health Europe).

En France, la demande des usagers pour un accompagnement par les pairs progresse, tout comme l’offre associative adaptée. À condition de s’atteler aux défis évoqués, la pair-aidance en milieu associatif s’annonce comme une ressource d’avenir incontournable pour repenser la santé mentale, dans la lignée du « rien pour nous sans nous ».

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