Penser l’emploi autrement en santé mentale : quels enjeux ?

Longtemps, le travail a été considéré comme un objectif lointain, parfois même inaccessible, pour celles et ceux vivant avec des troubles psychiques. Or, de nombreuses études ont montré : l’accès à l’emploi est l’un des leviers majeurs du rétablissement et d’une meilleure qualité de vie[1]. Pourtant, en France, le taux d’emploi des personnes avec troubles psychiques sévères reste inférieur à 20 %[2], et les perspectives restent difficiles.

La méthode IPS (Individual Placement and Support), ou « Emploi accompagné », redéfinit la façon de soutenir l’insertion professionnelle. Plus qu’une simple démarche d’aide à l’emploi, c’est un modèle global, flexible, et centré sur la personne, qui a déjà prouvé son efficacité à l’international.

Mais concrètement, qu’est-ce que l’IPS ? Pourquoi et comment l’appliquer en santé mentale, en France comme en région Auvergne Rhône-Alpes ?

Comprendre la méthode IPS : principes fondamentaux

L’Individual Placement and Support repose sur huit principes fondateurs qui structurent l’accompagnement :

  • L’accès à l’emploi est un objectif pour tous, sans critères d’exclusion.
  • Soutien à la recherche d’emploi rapide : débuter dès que la personne est prête, sans étapes préalables type ateliers pré-professionnels prolongés.
  • Appariement individualisé selon les préférences de la personne suivie (type d’emploi, horaires, environnement, etc.).
  • Accompagnement continu et illimité dans le temps tant que la personne le souhaite.
  • Soutien intégré avec les équipes de soin en santé mentale : coordination active.
  • Proactivité dans la relation avec les employeurs, pour créer ou adapter des opportunités concrètes.
  • Sensibilisation anti-stigmatisation: agir également sur l’environnement de travail.
  • Prise en compte des revenus et du projet de vie, y compris l’impact sur les droits sociaux.

(D’après le Centre Collaborateur de l’Organisation Mondiale de la Santé, 2020[3]).

Les étapes clés pour appliquer la méthode IPS

Pour déployer l’IPS dans la pratique, six étapes structurent la démarche. Elles peuvent s’adapter à chaque structure, mais gardent une logique commune :

  1. Adhésion au modèle et formation des acteurs
    • Il est indispensable que les professionnels (éducateurs spécialisés, infirmiers, psychologues, pairs, etc.) soient formés à l’IPS.
    • Les ateliers de sensibilisation doivent inclure les personnes concernées et leurs proches.
    • Des formations certifiantes existent (Association Francophone pour le Déploiement de l’IPS, DREES, etc.).
  2. Intégration dans le parcours de soin
    • L’IPS ne s’ajoute pas « à côté » du parcours de soin, il forme une équipe coordonnée avec l’équipe psychiatrique ou médico-sociale.
    • Des réunions régulières, une coordination des référents, et l’échange d’informations sont nécessaires.
  3. Accès direct à l’emploi
    • La recherche d’emploi démarre très rapidement, souvent dans les 30 jours suivant la demande.
    • On évite la multiplication des « étapes-test » (workshops, stages, etc.), et on cible d’emblée des postes dans le milieu ordinaire.
  4. Soutien personnalisé selon les besoins
    • Les entretiens sont adaptés au rythme de la personne, sans pression, avec des ajustements continus.
    • On travaille sur la confiance en soi, la préparation aux entretiens, le projet professionnel, mais aussi la gestion des trajets, de la fatigue, etc.
  5. Relations étroites avec les employeurs
    • Rencontrer les employeurs de la région, leur expliquer la démarche, proposer des périodes d’immersion ou des mises en situation accompagnées.
    • Intervenir rapidement en cas de difficulté pour éviter les ruptures de poste.
    • Informer sur l’aménagement possible des horaires, des tâches, etc., en lien avec le médecin du travail si besoin.
  6. Suivi dans la durée
    • L’accompagnement se poursuit tant que nécessaire : soutien téléphonique, ateliers, points réguliers, appui administratif.
    • Il n’y a pas de limitation dans le temps.

Les bénéfices concrets pour les personnes concernées

L’IPS repose sur la conviction que le travail est une composante de la vie et non un aboutissement réservé à une élite. Les résultats internationaux le prouvent :

  • 2 à 3 fois plus de chances d’être en emploi après 12 à 18 mois de suivi IPS, comparé aux méthodes traditionnelles (source : revue Cochrane, 2021[4]).
  • Meilleure estime de soi et réduction du sentiment d’isolement.
  • Diminution du risque de rechute psychiatrique et de réhospitalisation.
  • Profit pour les proches et familles, qui constatent une amélioration du bien-être général.

En France, un rapport de la Haute Autorité de Santé cite plus de 60 % de taux de placement en emploi durable (plus de 6 mois), dans les dispositifs pilote IPS, contre moins de 20 % dans les dispositifs classiques[5].

Défis à relever : où en est la méthode IPS en France ?

Si la méthode fait ses preuves, sa généralisation reste limitée. Quelques chiffres :

  • En 2023, on recense environ 120 dispositifs IPS en France, couvrant 50 départements[6].
  • La plupart sont rattachés à des établissements de santé mentale, souvent dans le secteur adulte, mais son extension au champ de la pédopsychiatrie ou du handicap psychique est en cours.
  • L’Auvergne-Rhône-Alpes s’est engagée avec 15 dispositifs pilotes début 2024 (source : Fédération Santé Mentale France).

Les principaux obstacles identifiés :

  • Difficulté à convaincre certains employeurs, malgré leur bonne volonté affichée.
  • Crainte autour de l’impact du travail sur la stabilité de la santé mentale, d’où l’intérêt du soutien continu.
  • Lenteurs administratives (questions liées à l’AAH, coordination avec Pôle Emploi, etc.).

Bonnes pratiques pour une mise en œuvre efficace

  • Inclure systématiquement les pairs-aidants dans l’accompagnement. Leur savoir expérientiel favorise confiance et écoute (cf. Programme Pair-aidance IPS Strasbourg).
  • Former les employeurs localement (sensibilisation, ateliers, clubs d’entreprises) pour déconstruire les représentations.
  • Adapter l’IPS à chaque contexte territorial : réseaux locaux, bassins d’emploi, transports, etc., en travaillant main dans la main avec les collectivités.
  • Continuer à évaluer et partager les résultats (taux d’accès à l’emploi, qualité de vie, satisfaction des bénéficiaires).
  • Miser sur la coordination médico-sociale : collaboration entre psychiatres, travailleurs sociaux, conseillers emploi, associations de personnes concernées.
  • Favoriser l’information des familles et des proches pour qu’ils deviennent des partenaires-clés du projet professionnel.

Quelles ressources pour aller plus loin ?

  • Association Francophone pour le déploiement de l’IPS (ips-emploi.fr) – formations, outils pratiques, cartographie des dispositifs.
  • Haute Autorité de Santé : Recommandations « Le Travail et la santé mentale » (has-sante.fr)
  • OMS : Guide pratique sur l’inclusion professionnelle des personnes avec troubles psychiques – consultable sur euro.who.int
  • Fédération Santé Mentale France – Observatoire Emploi Accompagné

Vers une reconnaissance de l’emploi comme soin

L’application de la méthode IPS change profondément le regard porté sur l’emploi et la santé mentale. Non seulement elle apporte des résultats concrets, mais elle fait progresser l’ensemble du système vers plus de coopération, d’humanité et d’inclusion. Pour avancer, il reste essentiel de reconnaître la place du travail dans le processus de rétablissement, d’écouter l’expérience des personnes concernées – et d’accompagner réellement chaque projet, quelles que soient ses spécificités. L’ambition ? Mettre fin à la relégation et ouvrir, dans chaque territoire, la possibilité d’un emploi choisi, accompagné et adapté, pour tous.

Sources
  • [1] OMS, Rapport sur la santé mentale dans le monde, 2022
  • [2] DREES / CNSA « Santé mentale, enjeux et perspectives » 2021
  • [3] Centre Collaborateur OMS pour la recherche et la formation en santé mentale, 2020
  • [4] Modini M et al., « The effectiveness of Individual Placement and Support for people with severe mental illness », Cochrane Database Syst Rev, 2021
  • [5] Haute Autorité de Santé, Recommandations Emploi accompagné et santé mentale, 2022
  • [6] Fédération Santé Mentale France, Bilan national Emploi Accompagné 2023

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