Pourquoi la qualité doit-elle être pensée pour et avec la pair-aidance ?

La montée en puissance de la pair-aidance dans les établissements de santé mentale questionne profondément les approches qualité, historiquement centrées sur la sécurité des soins, la conformité règlementaire et la satisfaction des usagers. Pourtant, soutenir le développement de la pair-aidance implique d’aller au-delà des démarches classiques : il s’agit de garantir la reconnaissance, l’efficacité, et l’éthique de ce rôle unique, à la croisée du vécu, du soin et de l'accompagnement.

Selon le rapport IGAS 2022 [source], près de 600 pair-aidants sont engagés dans des dispositifs institutionnels en France, une dynamique encore récente mais en forte progression. Or, intégrer la pair-aidance dans une démarche qualité ne consiste pas à plaquer des indicateurs existants. Cela exige le développement de pratiques et d’outils sur-mesure, à la hauteur des spécificités de cette fonction.

Quels repères pour évaluer la qualité en pair-aidance ?

La qualité appliquée à la pair-aidance se doit d’adresser plusieurs enjeux :

  • L’éthique : Respect de la confidentialité, des limites professionnelles et du consentement des personnes accompagnées.
  • L’utilité sociale et clinique : Impact réel sur le rétablissement, le bien-être et l’empowerment des personnes concernées.
  • L’inclusion et la complémentarité : Capacité à travailler en synergie avec les équipes et à lutter contre la stigmatisation.
  • La reconnaissance : Soutien aux pairs-aidants, prévention de l’isolement ou du surmenage, valorisation de leurs savoirs en actes.

La co-construction des référentiels : la clé de voûte

Contrairement aux autres métiers du soin, les référentiels qualité de la pair-aidance doivent être élaborés avec les personnes concernées. De plus en plus d’établissements associent dans cette démarche non seulement les pairs-aidants mais aussi les usagers, proches, professionnels et associations, parfois avec l’appui de dispositifs tels que les Commissions des Usagers (CDU). Un bon référentiel qualité doit ainsi mêler :

  • Des critères de satisfaction vécue par les personnes accompagnées
  • Des indicateurs du climat d’équipe (respect, intégration…)
  • Des marqueurs d’évolution du rétablissement

Une étude du Centre Collaborateur OMS pour la recherche et la formation en santé mentale (2020, Psycom) souligne que l’adhésion des équipes à la démarche qualité de la pair-aidance est triplement bénéfique : meilleure qualité de vie au travail, plus grande réactivité face aux besoins des usagers et amélioration du dialogue inter-professionnel.

Quels outils et démarches qualité sont particulièrement adaptés à la pair-aidance ?

Des évaluations fondées sur le vécu

La pair-aidance est par nature fondée sur la reconnaissance de l’expérience vécue. Plusieurs établissements ont recours à des groupes d’analyse de pratiques spécifiques, où pairs-aidants, professionnels et usagers croisent leurs regards sur les situations d’accompagnement. Ces retours d’expérience participent directement à l’ajustement des pratiques et servent d’outil d’évaluation continue.

L’importance de l’auto-évaluation et du feedback participatif

L’auto-évaluation structurée est une démarche très pertinente pour la pair-aidance. L’utilisation de grilles construites collectivement permet de :

  • Favoriser le questionnement sur les postures et limites
  • Repérer les zones de fragilité ou de besoin de formation
  • Donner aux pairs-aidants un espace de parole sur la manière dont leur travail est perçu

Des outils d’auto-évaluation tels que la grille PAIRté développée par GROUPE PAIR ou la fiche “parcours-pratiques” du CReHPsy Auvergne Rhône-Alpes s’avèrent précieux pour objectiver les progrès, identifier les axes d’amélioration et valoriser la singularité de l’action des pairs.

Le recueil du ressenti par les personnes accompagnées

Des questionnaires courts, anonymes, pensés avec et pour les personnes accompagnées, sont un outil de qualité plébiscité car ils permettent d’appréhender l’impact subjectif de la pair-aidance : sentiment d’écoute, sécurité, regain d’espoir, capacité à (re)prendre la main sur son projet de vie…

Indicateur Description Exemple de source
L’indice de satisfaction des personnes accompagnées Évalue le ressenti global (accueil, respect, utilité) Santé.gouv
Le “score espoir” Mesure l’évolution du sentiment de pouvoir-agir Revivre Asso

Garantir durabilité, éthique et sécurité : vers une démarche qualité enrichie

La démarche qualité en pair-aidance ne doit pas se limiter à recenser les “bons résultats”. Il s’agit aussi de garantir la sécurité psychique des pairs-aidants et des personnes accompagnées. Quelques axes majeurs :

  • Supervision professionnelle obligatoire pour les pairs‑aidants, reconnue comme protectrice face au risque d’épuisement (rapport IGAS 2022).
  • Charte d’engagement et cadre de fonction clarifiés pour éviter la confusion des rôles et garantir l’éthique.
  • Accompagnement à la formation continue : mise à disposition de modules dédiés à l’éthique, à la gestion du stress, à la régulation des conflits, etc.

De plus, certains établissements, notamment en Auvergne Rhône-Alpes, ont mis en place une Cellule Qualité Pair-aidance réunissant représentants de pairs, responsables qualité, patients et familles, dont la mission est de piloter, observer et améliorer de façon dynamique les pratiques, en adéquation avec les attentes de l’ensemble des acteurs.

Quels écueils à éviter et perspectives à renforcer ?

Attention au piège de l’instrumentalisation : la qualité appliquée à la pair-aidance doit rester un levier d’autonomisation, non de normalisation. Les audits “à l’ancienne”, focalisés sur la conformité, risqueraient d’annihiler l’apport spécifique de la pair-aidance : souplesse, humanité, adaptation.

L’Organisation Mondiale de la Santé souligne que la qualité en santé mentale passe aussi par le changement de culture institutionnelle : respect du parcours de chacun·e, décloisonnement des savoirs, et implication réelle des personnes concernées dans toutes les strates du processus (OMS, 2021).

Parmi les avancées à suivre de près :

  • L’émergence de réseaux régionaux de pairs-aidants articulant démarche qualité, supervision, et mutualisation d’outils auto-portés
  • La documentation de l’impact de la pair-aidance sur des critères tels que taux de rechute, temps d’hospitalisation ou insertion citoyenne
  • Le développement de “boussoles qualité” portées par les collectifs d’usagers et de pairs, en partenariat avec les établissements

La qualité comme levier d’émancipation collective

Mettre en œuvre une démarche qualité adaptée à la pair-aidance, c’est ouvrir la voie à une santé mentale réellement participative, où l’expérience devient une force et non un stigmate. Les établissements engagés en Rhône-Alpes et ailleurs démontrent que la qualité, loin d’être un frein, peut devenir un véritable moteur d’innovation, de reconnaissance et d’alliance au service du rétablissement.

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