Pourquoi la pair-aidance a-t-elle sa place à l’hôpital général ?

La pair-aidance – l’accompagnement par des personnes ayant un savoir issu de leur parcours de santé – s’est imposée, ces dernières années, comme une ressource incontournable en psychiatrie. Pourtant, en France, elle demeure très peu présente dans les services somatiques des hôpitaux généraux. L’évolution des besoins en santé (plus de maladies chroniques, davantage de parcours complexes, de vulnérabilités sociales) rend pourtant cette approche précieuse bien au-delà du champ psychiatrique.

Selon la Haute Autorité de Santé (HAS), la reconnaissance des compétences et du vécu des patient·es, en complémentarité avec les professionnels de santé, favorise le rétablissement, réduit le sentiment d’isolement et améliore la qualité des soins (HAS, 2022). L’enquête nationale britannique Review of Peer Support for Patients in General Hospitals (National Elf Service, 2021) a montré que les patients accompagnés par des pairs avaient une plus grande satisfaction du séjour hospitalier et plus de confiance dans leur sortie d’hospitalisation.

Quels patients peuvent bénéficier de la pair-aidance en milieu hospitalier général ?

La pair-aidance ne s’adresse pas seulement à des personnes vivant avec des troubles psychiques. À l’hôpital général, elle trouve sa pertinence dans de multiples situations :

  • Gestion au long cours des maladies chroniques (diabète, cancer, VIH, maladies auto-immunes...)
  • Adolescents ou jeunes adultes vivant une première hospitalisation longue ou un diagnostic bouleversant
  • Personnes en situation de grande précarité sociale ou d’isolement
  • Grossesse à risque, parcours de PMA, périnatalité compliquée
  • Convalescences après accident ou hospitalisation “choc”

Le rapport IGAS 2023 (IGAS) insiste sur l’intérêt de la pair-aidance pour “redonner du pouvoir d’agir aux usagers confrontés à la chronicité ou à la complexité des soins”. À l’hôpital, elle peut jouer un rôle de repère, de médiation, et d’ancrage pour les personnes perdues dans les rouages institutionnels.

Quels freins concrets à l’implantation ?

Le développement de la pair-aidance en hôpital général rencontre toutefois de vrais obstacles :

  • Cultures de soins cloisonnées : le fonctionnement en silos entre disciplines médicales limite la transversalité du savoir expérientiel et rend difficile la reconnaissance de la pair-aidance hors du champ psychiatrique.
  • Manque de cadres et de statuts : bien que des initiatives locales existent (comme à l’AP-HP ou à l’ICM de Montpellier), peu d’hôpitaux ont intégré formellement la fonction de pair-aidant parmi les métiers du soin (source : AP-HM, 2022).
  • Crainte des professionnels : certains soignants craignent une remise en cause de leur expertise. L’introduction de la pair-aidance bouleverse la hiérarchie implicite du soin classique.
  • Manque de formation et d’accompagnement : la pair-aidance demande un encadrement, un positionnement et une formation adaptés (Association des Patients-Experts France, 2023).

Dans l’enquête nationale Pair-aidance en milieu hospitalier : état des lieux et perspectives du Réseau Français d’Études sur la Pair-aidance (2021), 60% des professionnels interrogés se disent encore « indécis ou réservés » face à l’intégration durable de pair-aidants en hôpital général.

L’apport de la pair-aidance hors psychiatrie : des exemples inspirants

Certains hôpitaux français et européens ont ouvert la voie à l’intégration de la pair-aidance dans des services de soins généraux.

  • À l’Hôpital Necker (AP-HP, Paris), un projet de pair-aidance avec des jeunes atteints de maladies chroniques a permis une diminution du taux de rupture de suivi de 20% à 10% en deux ans (source : Association APIDIM, 2021).
  • À l’Institute of Cancer Research de Londres, le programme Side By Side a mis en place un binôme pair-soignant sur le parcours des patients sous chimiothérapie. Il en ressort une réduction du recours aux urgences non programmées, une amélioration de l’observance thérapeutique et une baisse significative du stress familial (British Medical Journal, 2022).
  • Le modèle des patients-partenaires développé à Montréal irrigue désormais les unités de médecine interne. Il est référencé comme bon pratique par la Commission Européenne (European Patients’ Forum, 2022).

Quels leviers et étapes pour installer la pair-aidance dans les hôpitaux généraux ?

Sensibiliser et former l’ensemble des équipes

  • Organiser des sessions de sensibilisation interprofessionnelles pour ouvrir le dialogue sur les bénéfices du savoir expérientiel
  • Insérer la question du positionnement des pairs-aidants dans les formations continues existantes (éthique, pratiques collaboratives, posture…)
  • Valoriser les retours d’expériences entre pairs-aidants et équipes pour dépasser les craintes initiales

Créer un cadre clair et protecteur pour les pairs-aidants

  • Définir précisément les missions : accueil, soutien individuel, coanimation d’ateliers, médiation
  • Établir un statut salarié ou indemnisé (le bénévolat présente des limites éthiques et organisationnelles)
  • Assurer un accompagnement psychologique et une supervision régulière par un professionnel extérieur au service

Inclure les usagers et leurs proches dans la gouvernance

  • Créer des instances de suivi ou de conseil regroupant professionnels, pair-aidants, patients et représentants d’associations locales – source : France Assos Santé
  • Faciliter l’évaluation participative des projets et la remontée des besoins

Développer des alliances institutionnelles

  • Mobiliser les directions hospitalières et les ARS pour sécuriser les programmes pilotes via une reconnaissance officielle et des financements pluriannuels
  • Articuler la pair-aidance avec d’autres dispositifs d’appui : éducateurs de santé, médiateurs, travailleurs pairs, patients-experts
  • Mettre en réseau les initiatives (en local ou à l’échelle régionale, par exemple via la FHPRA)

Focus sur la formation : vers une reconnaissance professionnelle

Des diplômes universitaires (DU) de pair-aidance émergent en France (Paris 8, Lyon 1) et sont ouverts à des usagers du système de soins général, pas seulement psychiatrique. Leur développement est indispensable pour garantir la qualité de l’intervention des pairs. Le Québec et la Suisse disposent déjà de titres professionnels reconnus, ce qui facilite leur employabilité en hôpital.

La formation aborde :

  • L’éthique de la distance relationnelle
  • L’animation de groupes de parole ou d’ateliers éducatifs
  • La gestion de la confidentialité et des situations de crise
  • L’articulation avec l’équipe soignante et le système de santé

En France, en 2024, il existe moins de 300 pairs-aidants formés et salariés hors secteurs psychiatriques (source : Fédération Nationale). L’objectif affiché par la Stratégie Nationale de Santé est de quadrupler ce chiffre d’ici 2030.

Impacts observés, limites, et perspectives

L’introduction de la pair-aidance en milieu hospitalier général offre une bouffée d’air à un système sous tension. Parmi les effets repérés en France et à l’étranger :

  • Diminution des hospitalisations itératives pour pathologies chroniques grâce à un accompagnement dès la sortie
  • Amélioration de l’expérience patient (moins de sentiment de solitude, plus de compréhension des règles hospitalières et du parcours de soins)
  • Facilitation du lien entre l’hôpital et la ville (accompagnement social, relais avec associations, etc.)

Cependant, la pérennisation de la pair-aidance nécessite une rémunération correcte, un appui institutionnel et l’acceptation d’une culture du soin partagée, ouverte à la pluralité des savoirs. La vigilance s’impose également pour éviter une instrumentalisation de la pair-aidance à des fins de communication plutôt qu’un réel partage du pouvoir d’agir.

En donnant une place centrale au vécu et à l’engagement des usagers, la pair-aidance a la capacité de rebattre les cartes – pour des soins plus humains, plus accessibles, et réellement co-construits.

Ses déploiements pilotes, encore minoritaires en hôpital général, témoignent pourtant de leur pertinence, et la dynamique de reconnaissance s’accélère. Accompagner ce mouvement, c’est admettre que chaque expérience de santé a le pouvoir de bâti un système de soins plus solidaire et efficace.

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