Repères : pourquoi la pair-aidance en EHPAD ?

La pair-aidance, reconnue aujourd’hui dans de nombreux domaines du soin et de la vie sociale, investit progressivement les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD). Cette démarche consiste à mobiliser l’expérience et le vécu de personnes ayant traversé des situations similaires à celles des résidents, dans une logique de soutien, d’écoute et parfois de co-construction du projet de vie. Dans un territoire comme le Puy-de-Dôme, marqué par une population vieillissante – avec près de 24% des habitants âgés de 60 ans et plus selon l’INSEE (2021) – la pair-aidance en EHPAD répond à des besoins d’accompagnement adaptés et au souci de préserver la dignité et la citoyenneté des personnes âgées jusqu’au terme de leur vie.

Une dynamique encore émergente dans le Puy-de-Dôme

Le Puy-de-Dôme, territoire à la fois urbain, périurbain et rural, compte environ 85 EHPAD (ARS Auvergne-Rhône-Alpes, 2024). La dynamique de pair-aidance y reste relativement récente, comparée à d’autres départements plus urbains ou à l’initiative de certains projets associatifs nationaux. Le concept progresse par petites touches, souvent à partir de projets pilotes menés en lien avec les équipes soignantes ou sociales, et grâce à l’implication de collectifs comme France Alzheimer 63, la Fédération Nationale des Associations de Directeurs d’Établissements et Services pour Personnes Âgées (FNADEPA 63), ou encore la Mutualité Française Auvergne-Rhône-Alpes.

D’après un état des lieux conduit en 2023 par l’AD-PA (Association des Directeurs au service des Personnes Âgées), moins de 10% des EHPAD du Puy-de-Dôme déclaraient avoir intégré un ou plusieurs dispositifs de pair-aidance, et très peu disposent de postes salariés ou formalisés de pairs-aidants. La plupart relèvent encore de dispositifs expérimentaux, souvent portés par des associations de familles ou d’anciens résidents.

Ce que recouvre la pair-aidance en EHPAD

La pair-aidance peut se traduire par des rôles variés :

  • Animation d’ateliers (écriture, mémoire, vie quotidienne, loisirs partagés) par des pairs ayant connu la vie en EHPAD ou l’accompagnement d’un proche.
  • Co-organisation de groupes de parole avec des résidents ou des proches, pour partager les difficultés du quotidien et leurs ressources.
  • Soutien individuel auprès de nouveaux arrivants, pour faciliter l’adaptation et lutter contre l’isolement.
  • Participation aux instances de vie sociale (Conseil de la Vie Sociale), pour porter la voix des résidents de façon informée et légitime.
  • Accompagnement des familles dans les moments de crise ou de transition (entrée en établissement, fin de vie, deuil).

Contrairement à la pair-aidance en santé mentale – aujourd’hui mieux identifiée par les établissements et réseaux professionnels –, la pair-aidance en gérontologie doit composer avec des contextes très institutionnels et le poids d'une représentation sociale encore négative du vieillissement.

Retour du terrain : témoignages et pratiques inspirantes

Quelques établissements pionniers ouvrent la voie :

  • Résidence Les Châtaigniers (Riom) : En 2023, l’EHPAD a monté un projet d’accueil de pairs-familles, formés par France Alzheimer et intervenant régulièrement pour animer des temps d’écoute et d’information auprès de proches de résidents souffrant de troubles cognitifs. Selon la direction, ce dispositif a permis de simplifier l’expression de certains ressentis, d’apaiser des situations de tension et de renforcer le lien entre équipe, résidents et familles.
  • EHPAD Les Sablons (Clermont-Ferrand) : Depuis 2022, une ancienne résidente, formée par La Voix Des Aînés, intervient comme “aide-accueil” auprès des nouveaux arrivants. Son vécu facilite très concrètement l’inclusion : elle présente la structure, accompagne aux premiers repas, traduit le règlement intérieur et invite à rejoindre les activités, ce qui réduit nettement la durée de la phase d’adaptation (rapport d’activités, CVS 2023).
  • Collectif d’EHPAD du bassin Issoire : Un groupe de pairs issus d’associations de familles intervient en alternance pour des ateliers autour de l’autobiographie et de la transmission. “C’est le fait de parler à des personnes ‘comme nous’, qui savent ce que c’est que perdre la mémoire ou un compagnon, qui change tout”, témoigne un résident (collecte d’expérience, FNADEPA 63, 2023).

On observe que, même sans statut salarié, ces initiatives favorisent le dialogue et le sentiment de valorisation des résidents, tout en modifiant le regard des professionnels sur leur rôle propre.

Obstacles à lever et leviers à mobiliser

Plusieurs limites freinent encore le développement d’une véritable dynamique de pair-aidance dans les EHPAD du Puy-de-Dôme :

  • Statut juridique et reconnaissance : Le métier de pair-aidant n’existe pas officiellement en gérontologie, ce qui complexifie le recrutement, la formation et la rémunération de ces intervenants (source : HAS, 2022).
  • Manque de formation des pairs : Peu d’offres de formation spécifiques à la pair-aidance en gérontologie existent au niveau régional, à la différence du champ de la santé mentale (source : UNAFAM).
  • Culture institutionnelle : Certaines équipes craignent une remise en cause de leur expertise ou de leur organisation ; il s’agit de bâtir une complémentarité au service des résidents, et non une concurrence.
  • Enjeux de confidentialité, d’éthique et de sécurité des personnes : la formation et l’accompagnement des pairs conditionnent leur pertinence et leur pérennité.

Cependant, des leviers existent, identifiés par la Haute Autorité de Santé (HAS) et l’Agence Régionale de Santé Auvergne-Rhône-Alpes :

  • Sensibilisation et information : Organiser régulièrement des journées d'échange sur la pair-aidance et donner la parole aux premiers concernés, pour sortir du tabou.
  • Partenariats associatifs : S’appuyer sur les réseaux expérimentés (France Alzheimer, Petits Frères des Pauvres, La Voix Des Aînés) pour co-construire les missions de pair-aidance.
  • Accompagnement institutionnel : Intégrer des référents-pair-aidance dans les équipes pluridisciplinaires, soutenir les projets via les Conseils de la Vie Sociale ou la cellule d’animation.

Quels bénéfices concrets pour les résidents et leurs proches ?

Les premières études nationales et retours du terrain confirment plusieurs impacts positifs :

  • Sentiment d’appartenance renforcé : Les résidents se disent “reconnus dans ce qu’ils vivent” et trouvent du réconfort à travers le récit d’autres personnes partageant leur histoire (rapport IGAS, 2022).
  • Réduction de l’isolement et de la souffrance psychique : La présence de pairs contribue à repérer plus précocement les situations de mal-être et à retisser des relations, réduisant ainsi l’ampleur de la solitude ressentie par près de 40% des résidents en EHPAD en France (Enquête PAFES 2022).
  • Amélioration du dialogue avec les équipes : Le pair-aidant agit souvent comme un “trait d’union” entre les familles, les soignants et les résidents.
  • Dynamique du pouvoir d’agir (empowerment) : Pouvoir être utile, avoir une place active dans le fonctionnement de la structure, bénéficient à la fois au pair-aidant et au groupe.

Perspectives et ressources pour amplifier la démarche

Accélérer la dynamique de pair-aidance dans les EHPAD du Puy-de-Dôme suppose d’élargir la réflexion à l’ensemble des acteurs concernés. Quelques pistes, issues des expérimentations en Auvergne-Rhône-Alpes et des recommandations nationales :

  1. Mettre en place des parcours de formation modulaires, en associant pairs, résidents et professionnels.
  2. Valoriser la parole et la place des usagers au sein des CVS, en favorisant la co-construction des projets d’établissement.
  3. Testez le recours à des binômes “professionnel/pair” dans le montage des ateliers ou des accompagnements personnalisés.
  4. Faciliter le lien avec les familles et les réseaux d’entraide locaux, y compris par l’utilisation des outils numériques.
  5. Encourager la recherche-action, pour documenter les pratiques et outiller les équipes et les pairs.

Quelques ressources utiles :

  • Guide HAS “Expérimenter la pair-aidance en établissements médico-sociaux” (2022)
  • Réseau La Voix Des Aînés, qui accompagne la formation de pairs-aidants seniors
  • France Alzheimer 63, centre ressource sur le soutien aux familles dans le Puy-de-Dôme
  • Retours de l’expérimentation “AIPAIR” (Pair-aidance en EHPAD, Centre national de Ressources Autisme, 2021)

Avancer ensemble : donner plus de place à l’expérience

Dans le Puy-de-Dôme, la pair-aidance en EHPAD reste à inventer : elle avance pas à pas, portée par la conviction partagée que l’expérience vaut autant que l’expertise. Pairs-aidants, résidents, proches et professionnels peuvent aujourd’hui coconstruire de nouvelles formes de solidarité, pour faire de la vieillesse un temps de vie partagée et reconnue. La suite, c’est écrire ensemble l’histoire – et inclure systématiquement la parole des résidents dans chaque étape, chaque projet.

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