Pourquoi mesurer l’impact des actions de pair-aidance ?

La pair-aidance, qui implique des personnes ayant traversé des troubles psychiques pour soutenir d’autres personnes concernées, gagne du terrain dans les établissements de santé mentale en Rhône-Alpes et partout en France. Si son utilité est de plus en plus admise — notamment en termes d’empowerment et de lutte contre la stigmatisation —, il reste indispensable de documenter et mesurer son impact. Pourquoi ? Parce que la reconnaissance institutionnelle et le financement de la pair-aidance passent souvent par des preuves tangibles ; parce que mesurer, c’est « donner à voir » ce qui est trop souvent invisible ; enfin, parce que ce suivi permet d’adapter et d’améliorer les pratiques.

Cependant, l’évaluation d’une intervention de pair-aidance n’a rien d’une simple formalité. En effet, les effets sont multiples, complexes et ne se résument pas à un seul chiffre ou graphique. Pourtant, il existe aujourd’hui des pistes concrètes, reconnues par la recherche comme par le terrain.

Des indicateurs à la croisée de plusieurs domaines

L’évaluation de la pair-aidance repose sur un panel d’indicateurs, qui se situent à l’interface du champ médical, psychosocial et organisationnel. Quelques grandes familles d’indicateurs, directement issues de sources telles que l’OMS, la Haute Autorité de Santé (HAS) ou encore le Centre national de ressources et d’appui aux Conseils locaux de santé mentale, structurent l’observation de l’impact :

  • Indicateurs de rétablissement des personnes accompagnées : ils évaluent des dimensions comme l’espoir, l’autonomie, la qualité de vie et la participation sociale.
  • Indicateurs de relations et de vécu avec les soins : ils mesurent l’amélioration du lien avec les professionnels, la satisfaction des usagers envers l’accompagnement, et le sentiment d’écoute et de respect.
  • Indicateurs pour les pairs-aidants eux-mêmes : évolution de leur sentiment d’utilité, bien-être, professionnalisation, ou encore leur maintien en poste.
  • Indicateurs organisationnels : évolution des pratiques soignantes, climat institutionnel, taux de recours à la pair-aidance, ou taux d’hospitalisation/réhospitalisation.

Pour aller plus loin, il convient d’explorer des outils et des exemples précis.

Focus sur les échelles et outils validés

De nombreux outils existent pour tenter de « mesurer » la portée des actions de pair-aidance. Tous n’apportent pas le même regard ni la même finesse, et il s’agit bien souvent de croiser plusieurs méthodes pour une évaluation pertinente.

  • Recovery Assessment Scale (RAS) : utilisée dans le monde entier, cette échelle permet d’évaluer le parcours de rétablissement tel que vécu par la personne accompagnée. Elle interroge les changements en termes d’espoir, de la gestion de sa santé, ou encore d’estime de soi. Selon une étude publiée dans la revue BMC Psychiatry (2018), l’utilisation de la RAS dans des groupes ayant bénéficié d’actions de pair-aidance a montré une amélioration significative de la perception du rétablissement pour 67% des personnes interrogées.
  • Qualité de Vie liée à la Santé (WHOQOL-BREF, S-QoL) : l’évaluation de la qualité de vie s’appuie sur des échelles reconnues, comme le WHOQOL-BREF (Organisation mondiale de la santé) ou le S-QoL (développé spécifiquement pour la santé mentale en France). Une hausse de la satisfaction de vie peut ainsi être détectée au fil de l’accompagnement.
  • Satisfaction des usagers et implication : des questionnaires anonymes sont utilisés pour recueillir le vécu des bénéficiaires sur l’écoute, le respect, l’information, la possibilité de participer à des décisions. En Angleterre, où la pair-aidance est très intégrée, 82% des usagers ayant bénéficié d’un accompagnement pair ont déclaré « se sentir mieux compris et soutenus dans leurs objectifs de vie » (source : NHS, 2022).
  • Rétablissement social et participation : on s’intéresse ici au retour à l’emploi, aux activités sociales, ou à l’implication dans des activités partagées. Le suivi de ces indicateurs montre par exemple que, selon Santé Mentale France (2021), la pair-aidance facilite le retour vers une activité sociale ou associative dans près d’un tiers des situations.
  • Bénéfices sur l’institution et les pratiques : questionnaires ou entretiens auprès de l’équipe soignante, analyses des taux de réhospitalisation ; baisse observée dans certains services de 12 à 18% après introduction d’actions de pair-aidance, selon le rapport du Centre Collaborateur OMS pour la recherche et la formation en santé mentale (2020).

L’importance des indicateurs qualitatifs

Un chiffre, aussi solide soit-il, ne raconte jamais toute l’histoire. Les effets « invisibles » de la pair-aidance — la confiance retrouvée, le sentiment d’être “acteur” plutôt que “patient”, la diminution du sentiment de solitude ou la reprise d’activités jadis délaissées — sont parfois plus essentiels encore que les changements statistiques.

D’où l’importance d’outils qualitatifs :

  • Entretiens semi-directifs : menés auprès des personnes accompagnées, des pairs-aidants ou des équipes, ils permettent de recueillir des récits de transformation, des anecdotes révélatrices, ou des freins persistants.
  • Focus groups : l’analyse de la dynamique collective met en évidence l’évolution des représentations, des pratiques et de la coopération dans les équipes.
  • Histoires de vie : certaines institutions documentent les parcours de personnes accompagnées, qui relèvent l’avant et l’après pair-aidance : hospitalisations évitées, rencontres décisives, regain de liens sociaux, etc.

Intégrer ces remontées qualitatives renforce la crédibilité des évaluations et met en lumière l’essence de la démarche de pair-aidance : replacer l’humain au cœur des soins.

Les défis et limites de l’évaluation

Un des risques est de vouloir “tout mesurer” et de ne retenir que les indicateurs les plus traditionnels (taux de réhospitalisation, score à telle échelle…). Cela peut amener à négliger des avancées non quantifiables, comme l’évolution de la relation soigné-soignant ou l’amélioration de l’ambiance au sein des services.

En outre, le contexte influe fortement : la présence ou non d’un cadre de vrai soutien institutionnel, le nombre de pairs intégrés, leur formation, leur reconnaissance salariale. Les indicateurs doivent toujours s’ajuster à la réalité de terrain, et impliquer les pairs-aidants dans leur choix (source : Rapport HAS « Pair-aidance en santé mentale », 2021).

Enfin, il existe un défi éthique : attention à ce que l’évaluation ne devienne pas une nouvelle « injonction à la performance » ou une source de pression pour les pairs-aidants, qui, par définition, restent des personnes concernées par la vulnérabilité psychique.

Quelques bonnes pratiques pour une évaluation utile et partagée

  • Définir avec l’équipe et les pairs les objectifs de l’action et choisir des indicateurs adaptés au contexte (pas de mesure unique pour tous).
  • Combiner indicateurs quantitatifs et qualitatifs, sans négliger la place pour le récit, le vécu, la subjectivité.
  • Impliquer les personnes accompagnées dans la définition et la mise en œuvre de l’évaluation.
  • Faire un retour collectif sur les résultats pour ajuster les actions et valoriser le travail des pairs (et non pour sanctionner ou culpabiliser).
  • Veiller au respect de la confidentialité et à la non-stigmatisation lors de toute démarche d’évaluation ou de communication des résultats.

Une dynamique à renforcer : s’inspirer des retours de terrain

De nombreux retours d’expériences, en France comme à l’étranger, montrent que la valorisation des indicateurs issus de la pair-aidance favorise non seulement la professionnalisation des pairs-aidants, mais aussi l’innovation dans l’accompagnement collectif. À Grenoble, l’un des premiers hôpitaux à avoir instauré une équipe de pairs-aidants intégrée en psychiatrie, les résultats combinant récupération statistique et témoignages des usagers ont été déterminants pour assurer la pérennité du dispositif (source : Santé Mentale France, 2022).

De même, au Canada, l’analyse annuelle des ressources pair-aidées inscrit autant l’évolution concrète (taux de reprise d’activité, diminution des hospitalisations) que la multiplication des activités collectives, la montée en compétences des pairs, ou encore l’amélioration de l’image du service auprès des patients.

Oser une évaluation au service du sens

Au fond, la question « Comment mesurer l’impact de la pair-aidance ? » en soulève une autre : comment faire de l’évaluation un levier de reconnaissance, d’amélioration, et non un simple outil de contrôle ?

Les indicateurs servent à prouver ce que vivent et construisent, chaque jour, les personnes concernées : une transformation qui n’est ni soudaine, ni spectaculaire, mais résolument profonde. C’est ici que les chiffres rencontrent le sens, et que l’expression « preuves issues de l’expérience » prend tout son sens.

Pour aller plus loin, n’hésitez pas à consulter les recommandations de la HAS sur la pair-aidance, les recherches du Centre Collaborateur OMS et les retours d’usagers portés par les collectifs de pairs régionaux. Le partage d’expériences et la co-construction des indicateurs avec les premiers concernés restent le moteur d’une évaluation vivante et utile, au bénéfice de tous.

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