Pourquoi explorer les liens entre universités et structures de soins ?

La santé mentale n’avance pas sans dialogue. Depuis vingt ans, en France, l’échange croissant entre universités et structures de soins bouleverse la manière dont sont formés les professionnels, l'accès à l'innovation thérapeutique et la place accordée aux savoirs issus de l’expérience. Mais comment fonctionnent réellement ces partenariats ? Quels en sont les objectifs, les modalités et les réels impacts pour les personnes concernées, les soignants, les familles ?

Comprendre ces collaborations, c’est saisir comment – à Lyon, Grenoble, Clermont-Ferrand ou ailleurs – des liens nouveaux naissent entre le terrain et la recherche. Derrière ces alliances parfois complexes se cachent des avancées concrètes : nouveaux dispositifs d’accueil, accompagnement renforcé des étudiants en situation de handicap psychique, transfert de compétences, implication des usagers dans la formation, et bien plus encore.

Qu’entend-on par « partenariat » entre universités et structures de soins ?

Derrière le mot partenariat, plusieurs réalités coexistent. Quelques grands types de collaborations s’observent aujourd’hui en France :

  • La formation initiale et continue : Les universités organisent des cursus composés de stages ou d’alternance au sein de structures de soins (CHU, hôpitaux psychiatriques, associations), pour les étudiants en médecine, psychologie, soins infirmiers, ou sciences sociales.
  • La recherche collaborative : Projets conjoints entre chercheurs universitaires, médecins, psychiatres, psychologues, et usagers ; études d’évaluation ou de co-construction d’outils d’accompagnement ou de réhabilitation.
  • Les dispositifs hybrides : Création d’unités de soins universitaires, plateformes d’échanges, cliniques universitaires ou centres de ressources à l’interface entre l’université et les structures extrahospitalières (centres médico-psychologiques, GEM, SESSAD, etc.)
  • Les chaires universitaires de santé mentale : Espaces où enseignants-chercheurs, cliniciens, acteurs associatifs et patients travaillent ensemble sur la formation, la prévention, l’innovation, ou la pair-aidance.

Quels sont les grands objectifs de ces partenariats ?

Ces collaborations poursuivent plusieurs finalités, qui se sont clarifiées avec les recommandations de la Stratégie nationale de santé mentale (2018) et les évolutions de la formation des soignants (Réforme des études de santé, Ministère de l’Enseignement Supérieur).

  • Adapter la formation des professionnels aux réalités de terrain : Faire le lien entre la recherche fondamentale/clinique et l’expérience quotidienne du soin. Selon l’Inserm (rapport 2023), près de 60 % des formations en sciences infirmières comprennent aujourd’hui une part significative de stages dans des structures d’accueil diversifiées, favorisant l’interdisciplinarité.
  • Faciliter l’accès à l’innovation et à l’expertise partagée : Mise en œuvre de programmes pilotes (par exemple, le dispositif ICOPE pour le vieillissement, ou les espaces de simulation pour les étudiants en psychiatrie à Lyon Sud).
  • Inclure les usagers et leurs proches dans la réflexion et la formation : Plusieurs universités, dont l’Université Lyon 2 et l’Université Grenoble Alpes, proposent désormais des formations où intervenants pairs et usagers participent activement à la construction pédagogique (notamment en DU pair-aidance, DU Recovery, etc.).
  • Aider à la prévention et à l’égalité d’accès aux soins : Les expérimentations de consultations gratuites pour étudiants (exemple de la « L’Apsytude » à Lyon ou « Santé Psy Étudiant ») sont rendues possibles grâce au dialogue entre universités, CPAM, et structures de soin partenaires.

Exemples concrets de collaborations en Auvergne Rhône-Alpes (et au-delà)

Pour illustrer la diversité et l’impact de ces partenariats, voici quelques initiatives significatives, repérées dans la région et dans d’autres territoires :

1. Les centres hospitalo-universitaires (CHU) : un moteur historique

  • En France, 32 CHU organisent chaque année la formation de plus de 60 000 internes et étudiants en santé (CHU France). Des pôles spécialisés comme le Centre Hospitalier Le Vinatier (Bron) travaillent main dans la main avec l’Université Claude Bernard Lyon 1 : formations croisées, co-encadrement de mémoires, participation à la recherche.
  • De nombreux services psychiatriques universitaires incluent des dispositifs d’accueil de personnes en rétablissement, dans une logique de dialogue entre pratiques cliniques et recherche sur les médiations innovantes (médiation animale, pair-aidance, art-thérapie).

2. L’intégration de la pair-aidance et de l’expertise d’usage

  • Depuis 2020, plusieurs universités de la région (exemples : Lyon 2, Université Clermont Auvergne) intègrent dans leurs diplômes universitaires des modules animés par des personnes concernées, renforçant l’aspect inclusif de la formation.
  • Des projets pilotes, financés par l’ARS ou les CRSA, permettent l’intervention régulière de pairs-aidants dans les CMP, unités d’admissions ou équipes mobiles, avec un suivi universitaire (évaluation, retour d’expérience).

3. La recherche collaborative : impact sur la formation et les pratiques

  • Le programme « PsyYoung » mené entre Lyon, Genève et Grenoble associe chercheurs, cliniciens, usagers et institutions hospitalières pour améliorer les parcours des jeunes présentant un début de trouble psychique.
  • L’Observatoire Régional de la Santé Rhône-Alpes (ORSRA) coordonne régulièrement des enquêtes associant centres universitaires et associations d’usagers (UNAFAM, France Dépression), par exemple sur la stigmatisation ou l’accès aux soins.

4. Dispositifs étudiant·es : prévention, santé, accompagnement

  • À la rentrée 2022, près de 16 % des étudiants déclarent avoir déjà consulté pour des motifs de santé mentale dans l’année (Observatoire national de la vie étudiante). Les Cellules d’Accueil et d’Écoute (universités, CROUS, mutuelles étudiantes) coopèrent avec les équipes hospitalières et les associations spécialisées (Nuit des Étudiants, Apsytude).
  • Le service « Santé Psy Étudiant », issu d’un partenariat État-universités-structures de soins post-Covid-19, a permis la prise en charge de plus de 250 000 consultations psychologiques gratuites de 2021 à 2023.

Quels enjeux et défis dans la réalité quotidienne ?

Ces rapprochements, aussi riches soient-ils, soulèvent des questions concrètes sur le terrain :

  • La question du financement : La majorité des projets de recherche et de formation hybride sont financés au projet, parfois avec des fonds européens ou ARS, ce qui fragilise la pérennité des dispositifs.
  • Le temps de coordination et la charge administrative : Monter des formations croisées suppose une articulation fine entre les parcours universitaires et les contraintes institutionnelles du sanitaire, et la reconnaissance du rôle des intervenants pairs.
  • L’inclusion réelle des usagers : Malgré des avancées, intégrer l’expertise d’usage comme composante de la formation reste un défi. Selon la Haute Autorité de Santé (2022), seuls 23 % des DU en psychiatrie incluaient à cette date l’intervention de pairs-aidants ou usagers-experts.
  • La mobilité et la logistique : Pour les étudiants éloignés des CHU ou les personnes concernées vivant en zone rurale, la mobilité entre université et structure de soin reste difficile malgré le développement du télé-enseignement et de la télémédecine.

Quels impacts pour les personnes concernées ?

Au-delà des chiffres, ces collaborations redessinent les parcours de soins et les parcours de vie. Pour les personnes concernées :

  • Accès à une offre de soins diversifiée et innovante : Nouveaux ateliers, groupes de parole, ateliers de réhabilitation psycho-sociale ancrés dans la recherche-action.
  • Montée en compétence et en reconnaissance : La possibilité de s’engager comme patient-partenaire, pair-aidant universitaire, ou médiateur, offre une autre voix, un autre regard sur le soin et les dynamiques d’équipe.
  • Meilleure articulation parcours soins-études : Dispositifs de tutorat, référents handicap, dispositifs « Année relance » offrent des solutions concrètes pour rester acteur de son cursus tout en prenant soin de sa santé mentale.

Vers quoi avancer : pistes, innovations et leviers pour l’avenir

  • Valoriser et pérenniser la parole des usagers : Intégrer systématiquement l’expertise d’usage, renforcer la place des associations de personnes concernées et de leurs proches dans la gouvernance des partenariats.
  • Simplifier l’accès à l’information : Développer des plateformes régionales recensant les dispositifs hybrides, les ressources disponibles, et les offres de formation partagées (comme le Portail Santé Auvergne Rhône-Alpes).
  • Favoriser la mobilité et l’interdisciplinarité : Développer le télé-enseignement accompagné, les stages ouverts à différents horizons (sciences humaines, art-thérapie, médiation animale).
  • Affirmer la lisibilité et la transparence des collaborations : Communiquer mieux sur les missions des différentes structures, sur l’impact concret des innovations issues des chercheurs, des soignants, mais aussi des usagers.

De la co-construction d’enseignements à la mise à disposition de ressources innovantes pour les parcours de soins ou d’études, les partenariats entre universités et structures de soins dessinent de nouvelles possibilités. Ce mouvement n’est ni linéaire, ni simple : il progresse, il tâtonne, il s’enrichit des réussites, et apprend des limites. L’enjeu essentiel : que chaque personne concernée, proche ou professionnel trouve, à chaque étape du parcours, une information lisible, des ressources accessibles, et une réelle possibilité d’agir.

Ressources complémentaires :

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