Comprendre la position centrale de l’Agence Régionale de Santé

La pair-aidance – démarche qui consiste à mobiliser des personnes ayant une expérience vécue de la santé mentale pour accompagner d’autres patients – s’impose aujourd’hui comme une innovation majeure dans le paysage du soin en France. Mais son développement à grande échelle dépend de nombreux facteurs, et notamment de la mobilisation déterminée des Agences Régionales de Santé (ARS).

Véritable chef d’orchestre des politiques de santé sur le territoire, l’ARS agit au croisement de plusieurs enjeux : définition des priorités régionales, financement des projets, coordination avec les acteurs de terrain. Son rôle excède largement la simple validation de dossiers administratifs. Il s’agit, concrètement, de créer les conditions permettant à la pair-aidance de s’enraciner et de prospérer sur le long terme.

Définir et impulser la politique régionale de la pair-aidance

Les ARS ont pour mission de déployer, à l’échelle locale, les grandes orientations de l’État en matière de santé mentale. Depuis le déploiement du plan « Psychiatrie et santé mentale » 2011-2015, puis au fil des stratégies nationales de santé mentale et du virage « réhabilitation psycho-sociale », les ARS sont invitées à favoriser l’émergence de nouveaux acteurs, notamment les pairs-aidants.

Dans la région Auvergne Rhône-Alpes, l’ARS s’est dotée dès 2017 d’une feuille de route dédiée à la santé mentale, proposant explicitement de soutenir la participation active des usagers [ARS Auvergne Rhône-Alpes, Feuille de route 2018]. Cette stratégie s’appuie sur plusieurs axes majeurs :

  • Soutenir la formation et l’insertion professionnelle des pairs-aidants.
  • Favoriser leur reconnaissance dans les équipes pluridisciplinaires.
  • Financer des expérimentations locales et favoriser la diffusion des bonnes pratiques.

La pair-aidance n’est donc pas un simple « bonus » dans la politique de santé mentale : elle figure parmi les leviers identifiés pour améliorer l’accès au rétablissement, la qualité des parcours, et la fluidité entre le sanitaire, le médico-social, et la vie citoyenne.

L’ARS, un catalyseur financier et organisationnel

L’un des leviers les plus concrets de l’ARS est sa capacité à orienter des financements vers la pair-aidance. L’inclusion de pairs-aidants dans les dispositifs de soins requiert en effet des budgets dédiés : pour la formation diplômante, les salaires ou gratifications, mais aussi l’accompagnement et la supervision spécifique à ces fonctions.

Entre 2019 et 2022, l’ARS Auvergne Rhône-Alpes a ainsi soutenu plus d’une trentaine d’initiatives intégrant des pairs-aidants dans des équipes en psychiatrie, en réhabilitation, ou encore dans les dispositifs de « GEM » (Groupes d’Entraide Mutuelle) [France Assos Santé, 2023]. Ce soutien s’est concrétisé non seulement par des appels à projets spécifiques, mais aussi par des postes fléchés au sein des établissements.

De plus, l’ARS joue un rôle de coordinatrice en facilitant les ponts entre acteurs : établissements hospitaliers, structures médico-sociales, associations de patients, organismes de formation… C’est souvent sous l’égide de l’ARS que se déroulent les séminaires régionaux, les groupes de travail inter-institutionnels ou encore les processus de co-construction des référentiels métiers pour les pairs-aidants.

Mise en place de formations structurées et reconnaissance du métier de pair-aidant

La structuration de la formation représente une étape clé. Depuis la création du Diplôme Universitaire (DU) de Pair-aidance en santé mentale en 2012 à Lyon, le mouvement s’est amplifié, mais il restait, jusqu’en 2021, largement expérimental et cantonné à certains territoires.

Sous l’impulsion des ARS, la logique est de passer à l’échelle : favoriser la diffusion de parcours reconnus, encourager l’ouverture de nouvelles sessions de formation, et proposer des dispositifs d’accès par la validation des acquis de l’expérience (VAE). L’ARS Auvergne Rhône-Alpes a, en 2023, participé au financement de près de 60 places de formation initiale ou continue pour futurs pairs-aidants [Ministère chargé des personnes handicapées, 2023].

Au-delà de la formation, la reconnaissance professionnelle des pairs-aidants demeure un défi majeur. L’ARS intervient notamment dans la production de référentiels de compétences, l’organisation de journées d’études régionales, et la valorisation des parcours d’intégration pérenne des pairs-aidants dans les établissements.

Surmonter les défis : emploi, statut, gouvernance

Si le soutien de l’ARS est crucial, de nombreux défis subsistent et nécessitent une mobilisation continue des pouvoirs publics.

  • L’employabilité et le statut : Beaucoup d’établissements hésitent à créer des postes de pairs-aidants par manque de financements pérennes ou de clarté sur les modalités contractuelles. La sécurisation de ces emplois passe par un accompagnement de l’ARS sur la durée, mais aussi par une reconnaissance plus franche dans les grilles de la fonction publique hospitalière (statut, progression de carrière, etc.).
  • L’articulation avec les autres professionnels : L’introduction des pairs-aidants dans des équipes peut susciter des craintes ou des interrogations. L’ARS joue un rôle de médiatrice et d’accompagnement au changement, en impulsant des espaces d’échanges et de réflexion sur les complémentarités de métiers.
  • Évaluation d’impact : L’ARS a la capacité de soutenir l’évaluation qualitative et quantitative des dispositifs. En 2021, une étude menée en partenariat avec le Centre Collaborateur de l’OMS à Lille a montré qu’en Auvergne Rhône-Alpes, 78 % des patients bénéficiaires déclaraient « un effet notable sur leur parcours » après avoir eu recours à la pair-aidance (source : CHRU Lille).

L’ARS et le pouvoir d’agir des usagers : quelles perspectives ?

L’implication de l’ARS dans la pair-aidance n’est pas qu’une question de dispositifs ou de financement : elle interroge le modèle même de la santé mentale et la place qu’on souhaite accorder au savoir des usagers.

Ces dernières années, on observe un mouvement de fond vers une participation accrue des personnes concernées dans les instances de gouvernance (Conseils territoriaux de santé, PTSM) [Stratégie nationale de santé mentale, 2018]. L’ARS accompagne la formation de représentants pairs dans ces instances, promeut des démarches de co-construction des politiques et soutient, via des appels à projets, des collectifs d’usagers ayant vocation à devenir force de proposition et non plus simples « bénéficiaires » des politiques publiques.

La région Auvergne Rhône-Alpes, notamment, a expérimenté entre 2020 et 2023 une démarche participative dans l’élaboration de ses projets territoriaux de santé mentale (PTSM) et de ses dispositifs d’appui à la pair-aidance. Plusieurs structures pilotes – dont le CH Le Vinatier à Lyon ou le Groupement d’Entraide Mutuelle l’Éclaircie à Grenoble – ont pu faire remonter directement aux décideurs de l’ARS les besoins du terrain, les freins à lever, et les points d’appui à consolider.

Comment renforcer l’impact de l’ARS pour l’avenir de la pair-aidance ?

Plusieurs pistes pourraient renforcer l’apport de l’ARS en matière de pair-aidance à court et moyen terme :

  • Développer de nouveaux modes de financement pérenne, au-delà des appels à projets temporaires.
  • Poursuivre la structuration du métier de pair-aidant, avec un référentiel commun national, et des parcours de formation reconnus et valorisés.
  • Installer davantage de représentants pairs dans les organes de décision des politiques régionales de santé.
  • Favoriser la co-évaluation des dispositifs avec des associations représentatives et les principaux intéressés.
  • Diffuser largement les résultats d’évaluation et les bonnes pratiques, pour éviter les inégalités territoriales.

Les ARS jouent donc un rôle moteur : elles sont à la fois garantes de l’équité, de la qualité, et de la pérennité des initiatives de pair-aidance. Leur implication doit continuer à s’élargir en faveur de dispositifs robustes, co-construits, et soutenant réellement le pouvoir d’agir des personnes concernées.

Pour aller plus loin : ressources et acteurs régionaux à suivre

DispositifDescriptionLien utile
ARS Auvergne Rhône-Alpes – Santé mentale Feuille de route et appels à projets régionaux Lien
Université Lyon 1 – DU Pair-aidance Formation initiale en pair-aidance Lien
Association France Assos Santé Acteur national de promotion du pouvoir d’agir des usagers Lien
Collectif Auvergne Rhône-Alpes Pair-aidance Échanges de pratiques, ressources locales Lien

Cet écosystème évolue vite. En favorisant la circulation de l’expérience, la pair-aidance offre de nouveaux horizons au rétablissement. L’ARS, par son engagement, reste un acteur indispensable pour en garantir l'accès à tous et la reconnaissance à long terme.

En savoir plus à ce sujet :